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Essai
J’écris ton nom
Dans la série « Le Goût de », Georgia Makhlouf qui avait déjà signé Le Goût de l’Orient nous propose Le Goût de la Liberté.

Par Lamia el-Saad
2016 - 03
Terme galvaudé s’il en est, vidé de son sens, la liberté demeure, peut-être plus que jamais, un sujet d’actualité. Entre le désabusé qui n’y croit plus et le naïf qui croit être pleinement libre, il y a ceux qui réfléchissent et qui agissent.

La liberté serait-elle un « pays sans chemin », une chimère ? René Char écrit : « À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis. » Elle est sans cesse à conquérir ; la seule réponse à la privation de liberté « ne peut être que combat ».

L’auteur divise cette sélection de textes sur la liberté en trois parties. La première est consacrée à la dimension philosophique de la réflexion sur la liberté, la deuxième illustre les très nombreux combats pour la liberté et la troisième est une exploration des chemins intérieurs vers la liberté.

L’on y retrouve des problématiques intemporelles comme, par exemple, « l’importance de préserver sa liberté en respectant celle d’autrui », soulignée par Plutarque, ou encore la question du libre arbitre soulevée par Dostoïevski et reprise par Marguerite Yourcenar qui écrit dans les Mémoires d’Hadrien : « Je voudrais trouver la charnière où notre volonté s’articule au destin. »

Ce recueil apporte la preuve que les grands esprits se rencontrent ou plutôt se rejoignent. Ainsi, pour Spinoza, « la liberté n’est envisageable pour l’homme que s’il s’attache à modifier sa façon de penser ». Nietzsche, lui, ne craignait pas de « penser à contre-courant de son époque, en esprit libre ». Quant à Mahmoud Darwich, il estime que la liberté c’est « être à l’opposé de ce qu’ils voudraient que je sois ».

De même, le philosophe indien Krishnamurti pour qui « il faut être à soi-même sa propre lumière » rejoint Gide pour qui « chacun doit trouver, face à la vie, la posture qui lui est propre ». Enfin, Prévert qui, bien que proche des surréalistes ne fit jamais partie d’aucun groupe tant il était attaché à son indépendance, rejoint Dany Laferrière, écrivain haïtien, caribéen, créole et québécois qui « refuse toutes les dictatures, y compris celle de l’identité ».

Mais au-delà de tous les parallèles possibles, ce qui nous interpelle le plus, ce sont les destins parallèles de ces êtres qui, sans jamais se rencontrer, ont partagé les mêmes combats... Citons le Hongrois Sandor Marai, l’Espagnol Jorge Semprun et la Française Germaine Tillon qui ont lutté, chacun à sa manière, contre le nazisme.

Georgia Makhlouf expose dans son introduction la difficulté de choisir parmi de très nombreux textes et la cruauté de certains renoncements. D’une manière générale, elle a préféré privilégier les figures les moins connues pour les mettre en lumière : Jacques Roumain, Édouard Glissant et Frantz Fanon qui ont lutté contre l’esclavage. Toutefois, elle renonce le moins possible puisqu’elle ne peut s’empêcher de citer l’incontournable Victor Schoelcher au détour d’une phrase sur Aimé Césaire.

Si l’ordre de présentation des auteurs n’est pas alphabétique, il est loin d’être anodin. Georgia Makhlouf place Camus juste après Sartre qu’elle décrit comme un homme de paradoxes. Faut-il y voir une manière détournée (mais pas tant que ça) de souligner, par effet de contraste, l’attitude ambiguë de Sartre durant la Seconde Guerre mondiale, alors que Camus fut un homme conscient « de sa vie, de sa révolte, de sa liberté » ?

Assez curieusement, Camus et Hugo ne sont pas cités dans la catégorie consacrée aux combats mais dans celle consacrée à la réflexion sur la liberté. Et ce alors qu’Hugo fut « de toutes les batailles pour la liberté » et que Camus fut un résistant de la première heure : l’éditorialiste et surtout l’âme du journal Combat. Sans doute est-ce cela aussi, un homme libre ? Un géant que l’on ne peut enfermer dans une seule catégorie et qui les transcende toutes.

Les textes choisis avec soin et présentés avec talent par Georgia Makhlouf sont un savant mélange d’incontournables et d’inattendus : le poème d’Éluard y côtoie un extrait des Troyens de Berlioz.

Pour cohérent et homogène qu’il soit, ce recueil n’en demeure pas moins un merveilleux voyage dans le temps et dans l’espace. De Djalâl ud-Dîn Rûmi (fondateur de l’Ordre des derviches tourneurs) à Akira Mizubayashi (écrivain japonais qui s’affranchit de sa langue natale pour écrire en français), de Kafka à Jonathan Franzer, les hommes ont cherché à recommencer leur vie par « le pouvoir d’un mot ».

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Goût de la liberté de Georgia Makhlouf, Mercure de France, 2016, 144 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166