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Essai
Djihad 3.0 selon Gilles Kepel


Par Samir Frangié
2016 - 02
Dans son dernier ouvrage, Terreur dans l’Hexagone : Genèse du djihad français, Gilles Kepel, spécialiste du Moyen-Orient et de l’islam en France tente de comprendre pourquoi la France, avec plus d’un millier de Français qui ont rejoint les rangs de Daesh, est devenue aujourd’hui le premier pourvoyeur de djihadistes.

Pendant les dix ans qui séparent les émeutes de 2005 des attentats de 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher puis le Bataclan et le stade de France, de nouvelles lignes de faille apparaissent. La marginalisation économique, sociale et politique, les mutations de l’idéologie du djihadisme sous l’influence des réseaux sociaux vont conduire une nouvelle génération de l’islam de France à rechercher un modèle d’« islam radical » et à se projeter dans une « djihadosphère » qui promeut la rupture avec l’Occident « mécréant ». « Le logiciel du djihadisme, note Kepel, a changé. »

À cela s’ajoute une dimension « rétrocoloniale », c’est-à-dire le retour du refoulé colonial qui conduit un certain nombre de jeunes, d’origine algérienne en particulier, à vouer à la France, ancienne puissance coloniale, une haine terrible. Cette génération de djihadistes appartient à la troisième génération du djihad. La première a vu le jour en Afghanistan en 1979, la deuxième est celle de Ben Laden et la troisième celle de Abou Moussab al-Souri avec son « Appel pour une résistance islamique mondiale » dans lequel il explique que « c’est à partir de l’Europe, ventre mou de l’Occident, et en recrutant parmi les jeunes venus de l’immigration qu’il faut lancer l’offensive contre l’Occident ».

Le personnage d’Al-Souri, tel que le dépeint Kepel, est riche en couleurs. Né en 1958 d’une ancienne famille de l’aristocratie d’Alep, il possède une excellente connaissance de l’Europe pour y avoir vécu de nombreuses années, ayant commencé en France des études d’ingénieur, avant de servir d’officier de relations publiques au chef d’Al-Qaïda. Son appel, 1600 pages en arabe postées sur internet, forme « l’opus fondateur » de la troisième vague du djihadisme.

Dans la formation de cette nouvelle génération de djihadistes français, les prisons vont jouer un rôle essentiel. Kepel consacre un chapitre à ce qu’il appelle « l’incubateur carcéral ». « C’est par la prison, dit-il, que les générations du djihad se croisent et se transmettent leur enseignement. » Le cas d’Omar Omsen est, à cet égard, très révélateur. Arrivé à Nice à l’âge de sept ans, venant du Sénégal, il bascule dans la délinquance avant de découvrir en prison la doctrine salafiste et rejoindre la Syrie où il deviendra « émir spirituel » d’une katiba française du Front al-Nosra.

Dans le dernier chapitre intitulé « Entre Kalach et Martel », en référence au vainqueur de la bataille de Poitiers en 732, Kepel évoque deux types de mobilisation qui se sont développés en parallèle : le nationalisme identitaire d’extrême-droite et le référent islamique, tous deux expression d’une même crise sociale. « Ces mouvements seraient porteurs d’une forte charge utopique qui réenchante une réalité sociale sinistrée en la projetant dans le mythe où les laissés-pour-compte d’aujourd’hui seront les triomphateurs de demain. » La société française, relève-t-il, risque de se voir prise entre l’enclume du Front national et le marteau djihadiste.


 
 
Oussama Ben Laden et Abou Moussab al-Souri, deux g
 
BIBLIOGRAPHIE
 
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