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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Voyage au cœur de la violence


Par Carole André-Dessornes
2016 - 01
L’universitaire et philosophe Michel Terestchenko nous livre ici le fruit d’une réflexion riche et très bien documentée autour de la thématique de la violence et de ses ressorts. Il s’agit pour l’auteur de revenir aux fondements même de l’islamisme, et plus particulièrement de l’islamisme radical ou néofondamentalisme – inséparable de la mondialisation – qui ne cesse de gangrener les sociétés moyen-orientales, sans pour autant exclure les sociétés occidentales… gagnées à leur tour par ce mal.

Mais M. Terestchenko va plus loin en nous invitant, dès le début, à faire un travail d’introspection et critique des sociétés démocratiques occidentales dites libérales, et en particulier les États-Unis clamant haut et fort le respect des droits de l’homme et qui pourtant au nom de « la guerre contre la terreur » n’hésitent pas à fouler au pied ces mêmes « valeurs » en violant les droits les plus élémentaires, justifiant l’injustifiable en usant, du recours à la torture, aux détentions secrètes et aux frappes dites chirurgicales par les drones. Ce sont là de véritables dérives qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont jamais été en mesure d’empêcher les islamistes radicaux de frapper de la manière la plus barbare et abjecte.

Cette logique de violence où s’inscrivent les sociétés contemporaines nourrit ressentiments, haines et peurs. L’auteur explore ici les dynamiques d’une violence répondant à d’autres violences. Nous entrons dans une logique de violences « idéologiquement justifiées », alimentant un terreau qui leur est favorable.

Quant à savoir si la démocratie a passé avec succès le test auquel elle a été soumise après les attentats du 11 Septembre, la réponse est non ! Les démocraties fragilisées renoncent progressivement à ces valeurs dont elles se font le porte-étendard : la liberté, l’égalité, la dignité, la justice… au nom de leur sécurité ; « face à la menace terroriste (…) se développe une zone élastique de non-droit, indéfiniment extensible ».

Une fois n’est pas coutume, ce livre nous oblige à faire face à « l’effet miroir » d’une violence que se partagent l’Orient et l’Occident, chacun cherchant à légitimer sa propre violence dirigée contre l’autre : cet autre, objet de tous les fantasmes. Cette analyse n’est pas sans rappeler le concept d’« effet mimétique » de René Girard, sacralisant la violence par le simple fait que chacun affirme détenir la vérité ; par les différentes politiques adoptées, entre autres les interventions en 2003 en Irak et en 2011 en Libye, « les États démocratiques y ont laissé une partie de leur âme, et pour rien » !

Y a-t-il une issue permettant de sortir de cette spirale infernale ? Si cette issue existe, elle passe nécessairement par le « pacte de convivialisme » défendu par Alain Caillé, le « vivre-ensemble » si cher à Samir Frangié. Il est urgent de désamorcer les causes de la haine. Nos sociétés se sont laissées prendre au piège des idéologies meurtrières, banalisant la violence à tout va. 

Ce livre résonne bien plus fort aujourd’hui, après les attentats ayant frappé respectivement la banlieue-sud de Beyrouth et Paris les 12 et 13 novembre derniers. On fait face à « une déterritorialisation qui ignore les frontières de la citoyenneté et la distinction entre le national et l’étranger ». Cette réflexion s’impose avec d’autant plus de force.

Il est temps de se poser les vraies questions, de trouver les solutions appropriées et de revenir aux sources de ces violences…Tout cela relève d’une logique qui dépasse largement la prévention des risques. Nos sociétés seraient-elles tombées dans « le déni d’humanité » ?

L’auteur nous met en garde contre le danger d’adopter un comportement d’acceptation en abandonnant toute exigence de transparence, vis-à-vis des politiques sécuritaires menées par ces mêmes démocraties.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
L’Ère des ténèbres de Michel Terestchenko, éditions Le Bord de l’eau, 2015, 202 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166