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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Palestine, la paix en marche arrière


Par Carla Eddé
2015 - 11
C’est avec un ouvrage passionnant, à la lecture agréable et prenante, que Henry Laurens clôture sa monumentale Question de Palestine en cinq tomes (publiés à Beyrouth par les Presses de l’USJ et à Paris par Fayard). Le dernier volume offre une magistrale reconstitution – de près de 900 pages – de « la paix impossible », entre 1982, date de la « première guerre israélo-palestinienne », à la 2e Intifada, déclenchée en 2001 dans les territoires occupés. Il mobilise pour le faire une impressionnante variété de sources : des documents diplomatiques, la presse arabe, israélienne et internationale, les biographies et mémoires des acteurs politiques… – sans oublier l’abondante bibliographie sur le sujet.

La question centrale de l’ouvrage est de savoir quand, pourquoi et comment les différents acteurs concernés en sont venus à considérer la paix comme incontournable, mais aussi les sens contradictoires qu’ils donnaient à cette paix. Israël et les États-Unis, qui refusaient toute reconnaissance et légitimité à l’OLP et, partant, à la cause politique qu’elle porte, ont été amenés, pour des raisons plurielles, à nouer le dialogue avec la centrale palestinienne. Mais pour eux, la paix ne correspond guère aux prescriptions du droit international, à celui édicté en particulier par l’ONU, Conseil de sécurité inclus, sur les droits des Palestiniens, dans lequel ces derniers s’inscrivent. L’auteur analyse notamment les différences, pour ne pas dire les nuances infimes, entre la gauche et la droite israélienne, qui se focalisent autour de la question du Grand Israël, et donc des « compromis » acceptables, comme la gestion de Gaza par des acteurs palestiniens par exemple, quand l’existence même de l’État palestinien est refusée par le pouvoir et l’opinion, tous bords confondus. C’est dans le processus d’Oslo 1 et 2 que l’auteur trouve les plus grandes avancées et les tares structurelles. « En remettant à plus tard le règlement des questions fondamentales – Jérusalem, les lieux saints, la définition territoriale et les réfugiés –, on rendait impossible ce qui était l’essence du projet : l’établissement d’un climat de confiance qui aurait dû permettre de résoudre les antagonismes. » Un problème majeur, affirme l’auteur sans détour, est la définition de la sécurité d’Israël, qui repose « sur un nombre tel de demandes qu’elle implique pratiquement le maintien de l’occupation sous une autre forme » à travers la dépossession et la « cantonisation » croissantes des Palestiniens comme le démontre l’auteur. Or, aucune garantie ne suffira : l’auteur donne à voir « l’insécurité existentielle de l’État d’Israël à cause de son déficit de légitimité dans le Moyen-Orient » (p. 822), qui ressort dans les actes et discours des hommes politiques israéliens. Rabin, par exemple, déclare devant la Knesset le 18 avril 1994 : « Je veux dire la vérité. Depuis vingt-sept ans, nous avons dominé un autre peuple (…). Depuis vingt-sept ans, les Palestiniens (…) se lèvent chaque matin avec la rage au cœur contre nous comme Israéliens et comme Juifs. Chaque matin, ils se lèvent pour une vie difficile, et c’est en partie notre faute. » 

Les faiblesses palestiniennes sont également analysées, à commencer par celles de son leadership. S’il affirme souvent qu’il pourra sans peine contrôler la Palestine, comme il a « contrôlé la totalité du Liban », Yasser Arafat parvient difficilement à s’imposer aux autres forces politiques de l’intérieur, le Jihad islamique et le Hamas, et même à la population qui, lors de la deuxième Intifada, se soulève aussi contre son gouvernement, dont les « profiteurs » et « les gens du retour » fournissaient les principaux cadres. Pour l’auteur, la première Intifada a pu réaliser des gains en grande partie car elle a su éviter le piège de la militarisation, ce que la seconde ne pourra pas faire, favorisant la radicalisation israélienne et le report du « retour au réel » du pouvoir israélien. 

Si la « question de Palestine » constitue la trame de l’ouvrage, c’est toute l’histoire du Moyen-Orient qui est revisitée. Au fil des pages, l’auteur scrute la politique américaine et ses projets de « nouveau Moyen-Orient », récurrents depuis les années 1980. Il dénoue aussi les fils de nombreuses affaires ayant passionné et divisé le monde arabe : assassinats politiques, Irangate, invasion du Koweït par l’Irak... C’est aussi la guerre au Liban depuis l’invasion israélienne de 1982 jusqu’à l’évacuation de 2000 qui est documentée. L’auteur revient en particulier sur l’expérience du Hezbollah qui a su retourner contre Israël les instruments de sa dissuasion. Mais pour les Palestiniens, la question se pose en d’autres termes : « le modèle libanais (…) (est) un dangereux leurre » car le Liban-Sud n’est pas vital pour Israël comme la Cisjordanie. Pour lui, l’unicité du conflit israélo-palestinien est précisément qu’il se déroule sur et pour la Terre sainte ; à tous les acteurs concernés, il affirme, fort de son étude fouillée de la « question de Palestine » depuis son émergence au XIXe siècle, que sans la prise en compte de cette donnée, nulle solution pérenne ne pourra advenir.



Henry Laurens au Salon
Table ronde autour de La Question de Palestine, le 25 octobre à 19h (Agora)/ Signature à 20h (Stéphan)
 
 
D.R.
L’unicité du conflit israélo-palestinien est précisément qu’il se déroule sur et pour la Terre sainte
 
BIBLIOGRAPHIE
 
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