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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai



Par Samir Frangié
2015 - 10


Dans son dernier ouvrage?: Le monothéisme, le pouvoir et la guerre?: De la conversion de Constantin au jihad islamiste, Ibrahim Tabet analyse les rapports entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel, et plus particulièrement, les rapports entre religion et violence, les religions ayant longtemps servi à «?légitimer les visées hégémoniques réciproques de la chrétienté et de l’islam?». Il note que l’évolution de l’islam et de la chrétienté en matière de tolérance s’est faite en sens inverse. De nos jours, dit-il, c’est principalement le monde musulman qui est accusé d’intolérance et de xénéphobie. Mais cela a été longtemps davantage le cas de la chrétienté.

Son analyse spécifique des religions monothéistes montre qu’elles ont fait preuve dans leur histoire de plus d’intolérance et de fanatisme que l’Empire romain païen ou les croyances indiennes, chinoises et japonaises. Après avoir dressé un tableau des rapports qu’entretient l’Occident avec la religion depuis Rome et la chrétienté orthodoxe jusqu’au «?siècle des lumières?» et la «?sortie du religieux?», Ibrahim Tabet poursuit sur le «?retour du religieux?» qui caractérise la période actuelle, un retour qui reflète moins un regain de foi qu’une quête d’identité après le déclin des idéologies laïques et la déconfiture du marxisme. Il aborde ensuite la question des rapports entre la chrétienté et l’islam, retraçant les différentes étapes de cet «?antagonisme millénaire?» avec les premières conquêtes arabes, les Croisades, la chute de Constantinople (1452), celle de Grenade (1492), le siège de Vienne (1683), jusqu’à la défaite finale de l’Empire ottoman (1918) et la domination européenne sur le monde arabe.

Dans cette traversée de l’histoire, on trouve beaucoup de moments forts. Le chapitre consacré aux Ordres religieux militaires (les Hospitaliers, les Templiers et les Chevaliers teutoniques) nous aide à mieux comprendre le mécanisme actuel de Daesh, ce nouvel ordre religieux militaire qui, lui aussi, se veut le défenseur de la religion. Le passage consacré aux conflits au sein de chacune des deux religions est un autre moment fort, en particulier celui sur la Guerre de trente ans entre catholiques et protestants (1618-1648) qui a ravagé l’Europe de la Baltique à la Méditerranée et qui sert aujourd’hui de référence pour qualifier le conflit qui oppose sunnites et chiites dans le monde arabo-musulman.

Ibrahim Tabet consacre un chapitre très bien documenté au rapport de l’Orient arabe avec la modernité, marqué notamment par un débat entre deux mouvances?: celle qui pensait, comme Atatürk, qu’il ne pouvait y avoir de modernisation sans occidentalisation, et celle qui prônait une «?islamisation de la modernité?». Il revient sur l’expérience de la Nahda et son rôle dans le renouveau de la culture arabe et l’émergence de l’idée de patrie, citant notamment Jamal el-Din Afghani et Mohamed Abdo qui, eux, ont tenté une «?réconciliation?» de l’islam avec la modernité.
La dernière partie de l’ouvrage est dominée par deux grandes interrogations. La première, intitulée «?Printemps arabe ou hiver islamiste???», concerne l’avenir du mouvement qui s’est fait en 2011, non pas au nom de la charia ou de l’islam, mais pour la liberté, la dignité et la justice. La deuxième, intitulée «?Vers une libanisation du Levant???», concerne plus particulièrement notre région avec la guerre civile en Syrie et l’éclatement de l’Irak.

En replaçant la situation actuelle dans son contexte historique, l’ouvrage d’Ibrahim Tabet est d’une grande utilité pour tous ceux qui cherchent à comprendre aussi bien les raisons que la nature des bouleversements que connaît notre région.


 
 
D.R.
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166