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Essai
La théorie du complot
C’est dans un ouvrage tout en nuances que Fouad Khoury-Helou analyse la politique des États-Unis au Moyen-Orient, politique que les peuples arabes aiment craindre ou détester. À tort ou à raison…

Par Lamia el-Saad
2015 - 09



À tort ou à raison ? D’emblée, l’auteur précise qu’il ne s’agit pas d’un réquisitoire contre les États-Unis. Pour autant, ce n’est pas non plus un plaidoyer en leur faveur. Il s’agit simplement de remettre les choses à leur place ; de faire le constat de l’« hyperpuissance » américaine tout en soulignant que les États-Unis ne sont pas l’État prédateur que l’on imagine. Et ce, même si la politique américaine imprime fortement sa marque, au point de faire l’histoire du Moyen-Orient, « autant voire plus que les peuples de cette région ne la font eux-mêmes ».

L’objectif de la politique américaine se situe en réalité « bien au-delà du Moyen-Orient », lequel n’est qu’un « élément » de sa politique ; une carte dans son jeu.

Dès les premières pages, Khoury-Helou réfute deux théories largement répandues dans le monde arabe. La théorie de l’erreur (miscalculation) qui implique un « comportement erroné et non-intentionnel ». Et bien sûr… la théorie du complot qui accuse les États-Unis et leurs alliés « d’agir implicitement contre l’intérêt des peuples du Moyen-Orient dans le but exclusif de dominer cette région et de s’en approprier les ressources ».

La théorie d’un complot postcolonial visant spécifiquement cette région est ainsi mise à mal par les théories « réaliste et néo-réaliste » des rapports de forces entre États. De plus, l’existence d’un État plus puissant que les autres pousse les moins puissants à se liguer contre lui pour équilibrer un rapport de forces inégal. En ce sens, les États-Unis interviennent au Moyen-Orient parce qu’ils y sont « contraints » ! L’idée peut surprendre… Mais, de ce point de vue-là, ils y sont contraints « par le jeu des rivalités mondiales » ; pour éviter qu’une autre puissance, la Russie ou la Chine par exemple, ne vienne « fatalement y prendre leur place ».

La théorie du complot sioniste est, de même, fragilisée. En effet, la création de l’État d’Israël, avec le soutien américain, « n’est pas à l’origine dirigée contre les Arabes » mais contre la Grande-Bretagne et l’U.R.S.S. Elle représente même « l’un des actes majeurs de la guerre froide ». Les États-Unis favoriseront par ailleurs l’émergence de régimes arabes forts reposant sur une « idéologie anticommuniste comme le nassérisme ou le baathisme ».

Expulser Londres tout en brisant les ambitions soviétiques : l’argument est convaincant. L’auteur relève cependant qu’il est « tout à fait possible que l’Amérique ait vu dans la position géographique de l’État hébreu un moyen de contrôler la région ».

La théorie d’un complot occidental demeure la plus difficile à ébranler. Après la guerre des Six Jours, certains, dont Nasser, accusèrent les États-Unis et la Grande-Bretagne d’y avoir participé directement ; les forces aériennes en action du côté israélien étaient « trois fois supérieures » à la taille de l’aviation de l’État hébreu. Le président Johnson avait d’ailleurs déclaré ouvertement, deux ans plus tôt, que les États-Unis étaient prêts à « armer massivement » Israël. Il est, de plus, établi que le gouvernement israélien avait reçu un « feu vert explicite » l’autorisant à déclencher les combats.

Mais les enjeux de cette guerre perdue d’avance dépassaient largement Israéliens et Arabes, la « cible principale étant Moscou ». De fait, l’Union soviétique y perd sa crédibilité aux yeux des Arabes qu’elle n’a pas pu aider. Le sujet étant controversé, l’auteur observe que « le débat reste ouvert ».

Circonspect et scrupuleux à l’extrême, Khoury-Helou joue sans cesse sur la nuance. À titre d’exemple, il rapporte qu’« il n’existe à ce jour aucune preuve formelle » que les États-Unis aient « délibérément provoqué »la guerre irako-iranienne mais souligne que par leur politique régionale, « ils ont créé de facto les conditions propices à cette guerre, rendant son déclenchement inéluctable ».

Il n’existe pas non plus de « preuve accessible et irréfutable » que Washington ait initié et encouragé la révolution iranienne. « L’explication la plus crédible est donc que les États-Unis aient vu venir cette révolution mais qu’ils l’aient laissée se dérouler car elle allait dans le sens de leurs intérêts. »

De la Première Guerre mondiale à nos jours, l’auteur passe au crible la politique américaine au Moyen-Orient, étape par étape, pays par pays, et nous livre un ouvrage extrêmement bien documenté… et d’autant plus méritoire qu’il reconnaît ses limites ; ne mélangeant pas opinions et certitudes.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
L’Amérique et le Moyen-Orient de Fouad Khoury-Helou, Hermann, 2015, 292 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166