FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Essai
La loi des plus faibles
Forts, athlétiques, admirables… les sportifs allemands du IIIe Reich, étaient en réalité à la merci d’une clique d’hommes au physique bien moins avantageux. 

Par Lamia el-Saad
2015 - 08


Tel que défini par Eckart Hans von Tschammer und Osten, Reichssportführer (ministre des sports) de 1933 à 1943, le sport est « la lutte des forces au service de la Patrie ». Les sportifs allemands, toutes catégories confondues, sont donc très vite devenus les fers de lance du nazisme, « tenus d’ajouter à leur gloire celle du régime ». Certes, ils n’étaient pas tous « aveuglement soumis, mais aucun ne parvint à se soustraire vraiment ».

Hitler déclara même au sujet des jeux olympiques de 1936 : « Chaque victoire d’un sportif allemand est une victoire du nazisme. » Le problème est que… ce qui est valable pour la victoire, l’est aussi pour la défaite. Or, la plupart d’entre eux ont fini par être vaincus.

Et certaines défaites sont plus amères, plus symboliques et plus intolérables que d’autres… Par exemple celle de Luz Long, battu au saut en longueur par le noir américain Jesse Owens. Défaite que Goebbels, responsable de la propagande, commente dans ses notes personnelles : « C’est une honte ! L’humanité blanche devrait avoir honte. » Celle aussi de Schmeling devenu « le boxeur maudit » parce qu’il a perdu face à un noir alors qu’il était en train de « combattre avec pour enjeu l’hégémonie de la race blanche ». Celle enfin de Gottfried Alexander Maximilian Walter Kurt Freiherr von Gramm, surnommé le Baron, qui faisait partie de l’élite du tennis mondial et qui disputa six finales à Roland-Garros, Wimbledon et Forest Hill. Comble de l’ironie pour celui qui était « mandataire d’un régime alors soucieux de propagande », il subit quatre revers au sommet, ne s’inclinant que face à deux joueurs : Fred Perry et Don Budge. Un Anglais et un Américain. Et que dire d’Hugo Eckener dont le dirigeable explosa en plein vol ? Il fut alors question de « progrès contrarié, d’aventure inachevée, de grandeur remis en cause ».

Dans Les champions d’Hitler, Benoît Heimermann se saisit de neuf exemples emblématiques qu’il estime être de véritables cas d’école. Des sportifs de haut niveau, « tous stoppés net dans leur élan, battus, défaits, morts pour une bonne partie ». Et de mort suspecte… À l’image de celle de Matthias Sindelar, joueur de football autrichien, ayant des ascendances juives, retrouvé mort aux côtés de son épouse dans un appartement qui sentait bon le monoxyde de carbone. À noter que si l’Allemagne annexe l’Autriche le 12 mars 1938, le football allemand fera de même avec son homologue autrichien deux semaines plus tard, le 28 mars. 

Président de l’Association des Écrivains Sportifs et grand reporter à l’équipe magazine depuis plus de vingt ans, l’auteur souligne que si Hitler a su instrumentaliser les sportifs allemands, il était totalement étranger à l’obtention de l’organisation des Jeux Olympiques de 1936 par l’Allemagne, les instances sportives internationales ayant entériné ce choix deux ans avant sa prise de pouvoir.

« Une santé aléatoire et une constitution délicate » n’empêchaient pas Hitler d’admirer des corps plus heureux que le sien. Le contraste est saisissant. « D’un côté, un corps idéalisé, une jeunesse resplendissante, une virilité triomphante. Et, de l’autre, une clique de dignitaires inachevés. Le bras mort de von Tschammer und Osten, la gaucherie d’Hitler, le pied bot de Goebbels, l’embonpoint de Goring, la myopie d’Himmler, la fragilité d’Hess. » Cela explique aussi, du moins en partie, cette insistance à « glorifier ce qui, précisément, est à l’opposé de ce que l’on est ».
Il est assez curieux, voire paradoxal, d’observer qu’Hitler écrivait dans Mein Kampf : « Le jeune Allemand de demain doit être souple et rapide comme un lévrier, dur comme le cuir, solide comme l’acier. » Une affirmation où l’on voyait déjà poindre « les prémices, si ce n’est d’une sélection obligatoire, tout au moins d’un dualisme incompatible ». 

Mais, parmi les innombrables torts que l’on pourrait reprocher au führer, qui donc songerait à lui reprocher son manque de cohérence ? Cela est d’autant plus improbable que ce dualisme existe bel et bien mais n’exclut pas les dirigeants du Reich : « Il n’y a pas de place pour les juifs dans le sport allemand, pas plus que pour les pacifistes et les traîtres à la nation. »

Célébrés jusqu’à leur chute, les sportifs du IIIe Reich ont pu se croire invincibles mais n’ont jamais été que de « vulnérables otages ». Un ouvrage au style dépouillé, précis, rigoureux, lucide et sans concession qui sort des oubliettes de l’Histoire des sportifs admirables dont la gloire a été usurpée.


 
 
© Leni Riefenstahl / Les dieux du stade
 
BIBLIOGRAPHIE
Les champions d’Hitler de Benoît Heimermann, Stock, 2014, 224 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166