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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Le Paris des lettres arabes


Par Franck MERMIER
2006 - 10


Après Paris, capitale arabe de Nicolas Beau (Seuil, 1998), Histoire des Orientaux de France de Abdallah Naaman (Ellipses, 2004) et le livre collectif Paris arabe : Deux siècles de présence des Orientaux et des Maghrébins, 1820-2003 (La Découverte, 2003), voici que paraît Paris, Librairie arabe de Maud Leonhardt Santini. Cet ouvrage traite, dans un même mouvement et de manière originale, de la circulation des acteurs culturels et des œuvres entre la France et le monde arabe en explorant le thème peu traité jusqu’ici de la traduction en français de la littérature arabe contemporaine. C’est donc tout un pan d’une histoire culturelle la plus immédiate que dévoile l’auteur en s’efforçant de saisir l’ensemble des processus qui concourent non seulement à la constitution de Paris comme « librairie arabe », mais aussi à la structuration du phénomène de la traduction en français de la littérature arabe.

Les aspects novateurs de ce travail sont multiples. Ils prolongent les apports du livre de Pascale Casanova La République mondiale des lettres (Paris, Seuil, 1999) dans lequel les productions littéraires en arabe tiennent une place marginale et jettent un éclairage inédit sur les conséquences intellectuelles de la présence arabe, surtout moyen-orientale, à Paris. Si aujourd’hui la littérature contemporaine de langue arabe est relativement bien installée dans le paysage éditorial français, on le doit surtout à ces intellectuels arabes du Moyen-Orient qui ont fait de Paris, dans les années 1980, un foyer majeur de la culture arabe. C’est d’ailleurs durant cette période que le nombre de titres traduits de l’arabe commence à augmenter significativement. Être traduit et édité à Paris peut aussi servir de tremplin pour accéder à d’autres espaces linguistiques de la littérature internationale. L’auteur révèle de fait le rôle essentiel joué par Paris pour la consécration littéraire universelle de la littérature arabe.
L’ouvrage de Maud Leonhardt Santini apporte aussi de nombreux éléments de réflexion sur le statut d’une littérature marginalisée, comme la littérature arabe, au sein de la production éditoriale française et sur les conséquences en retour des œuvres traduites sur les recompositions des champs littéraires arabes. L’auteur tente ainsi de saisir à la fois les modalités du filtrage et de la réception des œuvres produites dans des sociétés qui occupent une place particulière dans les représentations exotiques de l’imaginaire français et le pouvoir symbolique que confère le statut d’auteur traduit dans les pays arabes. La restitution des différents circuits de mobilité qui relient des lieux d’échange culturel et l’analyse des pratiques et des discours des intermédiaires culturels qui les produisent, est l’aboutissement d’une minutieuse enquête de terrain couplée à des investigations documentaires qui leur restituent leur dimension historique.

Les recherches de l’auteur sur les composantes de l’immigration moyen-orientale et sur la constitution d’un milieu culturel arabe à Paris permet aussi de saisir historiquement les conditions de possibilité de la formation de territoires culturels arabes dans la capitale et ses liens avec les centres de production culturelle que sont Le Caire et Beyrouth. Maud Leonhardt Santini souligne ainsi l’importance cruciale des lieux de sociabilité dans le fonctionnement social et professionnel des intellectuels. C’est dans les cafés et librairies de Hamra à Beyrouth, du centre-ville du Caire et du Ve arrondissement de Paris, avec en son sein l’Institut du monde arabe, que les réseaux se constituent, que les rencontres se font et que l’information circule.

Dans un autre registre, le chapitre sur les éditions Sindbad puis Sindbad/Actes Sud constitue une très intéressante monographie qui explicite les différentes déterminations des orientations éditoriales de cette maison d’édition. Ce volet de la recherche permet aussi d’équilibrer le tropisme moyen-oriental de l’ouvrage grâce au détour par l’Algérie qui se lit à la fois dans l’itinéraire personnel de Pierre Bernard, le fondateur de la maison, et dans la dépendance financière initiale de cet éditeur vis-à-vis de l’État algérien. Cette investigation détaillée est tout d’abord passionnante, mais elle sert aussi à illustrer l’affirmation progressive de la domination du pôle moyen-oriental dans le processus de la traduction en français des œuvres littéraires arabes. L’ouvrage de Maud Leonhardt Santini propose une vision neuve de la vie culturelle arabe en restituant la dimension novatrice et féconde des mobilités intellectuelles qui relient Paris aux autres capitales arabes..

 
 
© Fondation Samir Kassir
 
BIBLIOGRAPHIE
Paris, librairie arabe de Maud Leonhardt Santini, Éditions Parenthèses, 2006, 366 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166