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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Le siècle d'une France qui change


Par Henry Laurens
2015 - 06
Ce livre se donne pour objectif de dresser le bilan historiographique de l’histoire du XIXe siècle français, c’est-à-dire les nouvelles interprétations de cette histoire fascinante en ce début de XXIe siècle. En dehors du côté artificiel qu’une périodisation par siècle peut créer, il est clair que dès le début du siècle suivant, on a aussi bien parlé d’un « siècle du progrès » que d’un « stupide XIXe siècle ». Ce siècle a bien inventé l’idée de modernité, mais a compris toute une pluralité des possibles dont seuls certains se sont réalisés. Au-delà, chaque trait considéré comme dominant a compris de puissants antagonismes. Il a été ainsi le siècle de la « sortie de la religion », mais il a été aussi une période profondément religieuse avec un goût pour l’occultisme et la magie (le spiritisme par exemple).

Comme les limites ne sont pas linéaires, il est difficile de marquer les bornes chronologiques : les plus extrêmes sont 1789 et 1914, mais on peut aussi dire 1815 et 1880. En tout cas, les contemporains ont bien été les premiers à se définir par leurs siècles comme le montre le nombre de revue et de livres comprenant la mention du XIXe siècle. Les transformations en cours étaient immenses et ceux qui les vivaient en avait pleine conscience. Ils se divisaient souvent en « modernes » qui les approuvaient et en « antimodernes » qui les condamnaient. Mais les antimodernes étaient les premiers à utiliser les instruments de la modernité tout en croyant la combattre.

On a donc une forte orientation vers l’avenir défini comme l’achèvement du progrès et un puissant courant réactionnaire rejetant les changements en cours d’où les courants intellectuels et artistiques du romantisme, de l’orientalisme et de l’exotisme qui opposent les authenticités perdues à la facticité du monde contemporain. Le XIXe siècle est ainsi un vaste magasin où on trouve tout et son contraire.

Mais c’est là les discours des acteurs. Notre propre temps leur oppose ses propres interrogations au risque de l’anachronisme. Il en est ainsi de la révolution dite industrielle. D’un côté, c’est le premier usage systématique des ressources énergétiques minérales (le charbon) ; de l’autre, la voie française maintient une forte composante d’énergie renouvelable, en particulier hydraulique. Finalement, on va faire porter sur le XIXe siècle la responsabilité du réchauffement climatique actuel (qui commence en effet vers 1850). De même si le fait urbain s’affirme, on voit aussi en France une apogée des sociétés rurales avant leur agonie qui commencera avec la terrible ponction démographique de la Première Guerre mondiale. Il existe bien un modèle français dont jadis on déplorait le retard et qu’aujourd’hui on pare de tous les mérites.

Notre temps se veut le temps de la complexité, d’où la redécouverte des complexités des périodes antérieures. On ne peut plus abusivement simplifier ce XIXe siècle, aussi bien positivement que négativement. C’est le premier acquis de cet excellent livre qui fait le tour des différents aspects de ce siècle. Curieusement les attitudes devant la mort sont peu traitées alors que cela a été une grande période des pratiques et rituels funéraires qui s’étioleront ensuite tout au long du siècle suivant. Serait-ce que nos historiens contemporains n’osent plus aborder ces problématiques ?

Le grand intérêt de l’historiographie est de permettre de poser le paradoxe de l’histoire. En ce qu’elle conduit à définir des faits vrais grâce à diverses méthodologies, elle est un récit véridique, mais comme elle traite le passé comme un texte, elle autorise la pluralité et la succession des lectures souvent contradictoires. Ce livre est en une très bonne illustration. Il en résulte les tensions que montre le chapitre consacré au fait colonial et impérial. On a une histoire victimaire des souffrances infligées aux dominés et on a une lecture contradictoire qui insiste sur les échanges et les métissages à l’intérieur du système colonial. Dans les deux cas, il y a le risque d’anachronisme du fait de la projection de nos préoccupations présentes.

On pourrait aussi s’interroger sur la représentativité du petit groupe social que constitue le milieu des historiens « professionnels ». Dans leurs interrogations sur les différentes temporalités et historicités, représentent-ils l’ensemble de la société ou seulement une fraction minime de cette dernière ?

Mais ceci est un autre débat et ce livre mérite d’être lu.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
La modernité désenchantée, relire l’histoire du XIXe siècle français de Emmanuel Fureix et François Jarrige, La Découverte, 2015, 390 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166