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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Patrick Renauld, un itinéraire diplomatique


Par Samir Frangié
2015 - 04
Les tribulations d’un technocrate européen est le récit d’un long voyage qui commence en 1978 à Bruxelles et se termine en 2013 en Palestine. 1978 à 2013. Son auteur, Patrick Renauld, part à la découverte de la Méditerranée en commençant par le Maroc, puis l’Algérie où il fait l’apprentissage de la guerre civile, avant d’être nommé à Sarajevo en 1996, quelques mois après l’arrêt des combats, puis au Kosovo où il découvre les problèmes que pose l’après-guerre en terme de reconstruction. En septembre 2001, il est nommé président de la délégation de l’Union européenne au Liban où il va rester jusqu’en 2006.

Una partie importante du livre est consacrée à son expérience libanaise. Pour Renauld, « le Liban, c’est le soleil, l’intelligence et une énergie phénoménale qui le conduisent à tous les excès ». Le soleil, il le trouve dans une petite crique au sud de Nakoura ou encore sur une plage délaissée au nord de Batroun. Les excès commencent avec « cette circulation infernale et suicidaire » gérée par un rapport de force à chaque croisement, même ceux où il y a un feu rouge. Quant à l’intelligence, il la retrouve chez des personnalités comme Ghassan Tuéni, des intellectuels comme Samir Kassir, en souvenir duquel il créera le Prix Samir Kassir pour la liberté de la presse, ou encore chez des militants de la société civile comme Liliane Tyan qui a créé l’association Help Lebanon.

Dans cet ouvrage des témoignages poignants comme cette visite effectuée à la prison de Khyam créée par les Israéliens. « Il est des lieux, écrit-il, d’où suintent la peur, l’angoisse, l’horreur et leurs murs vous la restituent, goutte à goutte, comme la sueur et le sang qu’ils ont vus couler. »

Renauld parle de ses rencontres avec les dirigeants politiques, notamment le Premier ministre, Rafic Hariri, le chef du PSP, Walid Joumblatt et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Il parle également des difficultés rencontrées à convaincre les différents gouvernements à opérer des réformes de fond, créer une École nationale de l’administration pour moderniser une institution minée par le confessionnalisme, et jeter ainsi les bases d’un État moderne. Le constat qu’il fait est amer : « À ma grande déception, je ne vois pas l’ombre d’un État de droit se profiler à l’horizon. Les Libanais sont des gens remarquablement intelligents, mais terriblement individualistes (…) » Il relate également comment il a tenté, mais sans grand succès, de régler des problèmes plus difficiles, comme la question des eaux du Wazzani qu’Israël convoite, ou celle des fermes de Chebaa. Il écrit avoir été choqué par l’attitude du gouvernement israélien et les pressions qu’il a exercées pour bloquer toute solution.

Le tableau qu’il dresse n’est pas entièrement négatif. Il réussit à promouvoir une politique de développement des communes obligeant les administrations locales à coopérer ensemble et à se structurer pour obtenir des fonds et en gérer l’utilisation. Il parvient également à convaincre les principales forces politiques d’engager entre elles un dialogue économique et de créer une Table de Travail Technique (TTT). La première réunion devait se tenir le 13 juillet 2006. Mais ce jour là, la guerre venait d’éclater avec Israël suite à l’enlèvement de deux soldats israéliens par le Hezbollah.

Renauld qui place au fondement de sa mission la défense de la dignité et de la justice – « deux mots que l’Europe traduit par le mot de démocratie » – est très concerné par le mouvement qui, à partir de juin 2004 avec la Déclaration de Beyrouth va préparer le terrain au « Printemps de Beyrouth ». « Le peuple libanais, dit-il, a proclamé sa volonté d’être l’acteur de son histoire. Cette irruption soudaine et massive du citoyen fait désormais partie de la mémoire collective de toute une nation. » Et il s’interroge : ce phénomène qui questionne l’ensemble des pays arabes est-il reproductible ? La réponse viendra onze ans plus tard.

Le dernier chapitre est consacré à la Palestine où il a représenté l’Ordre de Malte. Le constat qu’il fait est dur et presque sans appel : « Deux haines, dit-il, se rencontrent, la première née de l’éducation, la seconde de l’humiliation, et l’espoir d’un changement est malheureusement très réduit. »


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Les tribulations d’un technocrate européen de Patrick Renauld, L’Harmattan, 2015, 212 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166