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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Comment se radicalise-t-on ?
Sorti peu avant les événements qui ont frappé Paris, ce petit ouvrage fait la synthèse de la recherche sur la radicalisation. À lire impérativement pour échapper à l'imbroglio des postures et des propos dont nous sommes inondés aujourd'hui.

Par Henry Laurens
2015 - 02
Par radicalisation, on désigne le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel. Cette définition ne prend pas en compte les phénomènes de radicalisation d’un appareil d’État engagé dans la réalisation d’un projet idéologique (communisme, nazisme). Dans nos sociétés d’aujourd’hui, cela concerne en premier lieu les islamistes radicaux, mais aussi des visions violentes d’extrême droite ou d’extrême gauche. C’est un phénomène ultra-minoritaire qui prend une dimension spectaculaire recherchée afin de créer un sentiment généralisé d’insécurité.

En un sens, l’histoire de la radicalisation est consubstantielle à celle du terrorisme qui, sous différentes formes, a des siècles ou des millénaires d’histoire. Dans un autre sens, c’est aussi une réalité spécifique des dernières années liée d’abord au développement du jihadisme dans des situations très différentes les unes des autres : contestation d’un régime musulman autoritaire et kleptocratique, minoritaires dans un pays occidental avec un sentiment de discrimination et d’exposition à l’islamophobie, luttes nationales contre une oppression étrangère (Palestine, Cachemire). Si ces situations sont très différentes, la mondialisation a permis de les unir grâce à un imaginaire propagé par l’internet. La « toile » peut être, entre autres, un instrument amplifiant la capacité de violence des personnes et des groupes radicaux en autorisant des types de communication qui font l’économie des structures rigides et des rencontres face à face.

Les mosquées en Occident ont, semble-t-il, cessé d’être des lieux de radicalisation du fait des surveillances policières au profit soit de la toile soit de petit noyaux créés par des liens de camaraderie. L’accumulation de frustrations sociales peut être le moteur de la radicalisation, l’idéologie venant ensuite. Les parcours chaotiques sont souvent d’abord passés par la délinquance.

L’auteur se livre ensuite à une typologie fine et intelligente de la radicalisation en Europe. Il oppose ainsi le racisme du « Petit Blanc » déclassé au contre-racisme de celui qui se sent en permanence discriminé pour son apparence physique, son appartenance religieuse ou son origine urbaine (mauvais quartier). La victimisation se conjugue avec une vision profondément désespérée de la situation sociale de l’individu qui n’a pas réussi à accéder ou à se fondre dans les classes moyennes. Elle rend insensible à la souffrance des autres en s’attachant exclusivement aux siennes, donnant ainsi une légitimité à la violence comme instrument de revanche sociale.

On en arrive ainsi au portrait du radicalisé : « Dans l’ensemble, le héros négatif se délecte de la crainte qu’il inspire et du regard négatif que l’on porte sur lieu dans les médias. Plus on le fustige plus il trouve à se glorifier dépensant avec prodigalité le seul bien dont il dispose, la vie des autres (avant qu’on ne l’en empêche) et, en dernier ressort, la sienne, qu’il est prêt à sacrifier pour la cause sacrée. Sa mort va clôturer un destin qui s’est voulu pourvu de sens face à une société qu’il a diabolisée et qui le diabolise sans que le dialogue puisse s’instaurer. Passe le degré ultime de radicalisation qui correspond à l’assomption du statut de héros négatif, plus aucun dialogue n’est possible, l’issue du conflit étant scellée uniquement par la violence extrême, celle de la mort donnée ou subie. »

En conclusion, l’auteur montre que si le jihadisme fournit le modèle de la radicalisation actuelle et que d’autres idéologies xénophobes peuvent conduire aux mêmes types de comportement (racisme d’extrême droite, anti-avortement, écologie « profonde »...).




 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166