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Essai
En avoir ou pas, l'État libanais selon Charles Rizk 


Par Samir Frangié
2014 - 12
Entre l’anarchie libanaise et la dislocation syrienne est un ouvrage nécessaire pour qui veut comprendre les raisons de cette violence extrême que connaît la région, car il remet en mémoire les événements qui vont déterminer l’avenir de la région. L’auteur, Charles Rizk, connaît bien son sujet. Il a rédigé plusieurs ouvrages consacrés au Liban et au monde arabe, notamment Entre l’Islam et l’arabisme (1983) qui a reçu le prix de l’amitié franco-arabe, et Les Arabes ou l’histoire à contre-sens (1992).

Le tableau qu’il dresse de la situation libanaise est sombre. Le Grand-Liban avait, dit-il, pour objectif d’étendre à toutes les communautés libanaises la symbiose réalisée entre druzes et maronites. Or cet objectif n’a pas été atteint. « Le Liban repose aujourd’hui sur un triple découpage : une entité chiite liée à la Syrie et à l’Iran, une entité sunnite liée à l’Arabie Saoudite et une entité chrétienne coupée en deux sous-entités déboussolées ».

Pour étayer cet échec, l’auteur revient sur les occasions ratées par les Libanais. Il parle notamment d’une expérience qu’il a bien connue, celle menée par le président Fouad Chéhab. Ce dernier a su préserver la neutralité du Liban et a initié des réformes importantes au niveau de l’administration publique, mais a échoué dans ses tentatives de réforme politique, notamment dans l’adoption d’une loi électorale qui puisse faire barrage à la communautarisation de la vie politique, communautarisation qui va préparer le terrain à la guerre civile. Celle-ci, qualifiée de « suicide collectif », va conduire les Libanais à se retrouver instrumentalisés par les forces étrangères. À ce manque de clairvoyance de la part des Libanais va faire face une politique syrienne menée avec beaucoup d’intelligence. L’auteur retrace le parcours de Hafez el-Assad qui, après avoir pris le pouvoir en Syrie va s’atteler à la tâche de réaliser le rêve d’une grande Syrie. Pour le faire, il va opérer avec prudence et intelligence, obtenant en échange d’une mise au pas des Palestiniens l’approbation des États-Unis et d’Israël à l’envoi de ses troupes au Liban. Il fera face aux différentes oppositions qui se manifesteront par la suite en envoyant notamment ses troupes combattre en Irak aux côtés des Américains et en obtenant ainsi en échange l’autorisation de placer le Liban sous sa tutelle. « Anjar, note l’auteur, devient alors la capitale du Liban ». Mais l’intelligence dont a fait preuve Hafez el-Assad n’a pas empêché la Syrie d’être emportée par la violence qu’elle a initiée et de se retrouver subissant un processus de dislocation dont il est difficile aujourd’hui de prévoir l’issue finale.

L’auteur constate avec amertume que les Libanais n’ont pas su tirer les leçons de leurs guerres successives. Les mêmes erreurs se répètent chacun se croyant plus intelligent et plus rusé que ceux qui l’ont précédé. Aurons-nous jamais un État, s’interroge-t-il, en conclusion de l’ouvrage ? La question demeure sans réponse.

Plusieurs problèmes soulevés par l’auteur méritent discussion, notamment celle de savoir si le Liban qui a quitté l’orbite syrienne pour l’orbite iranienne peut entrevoir des relations plus faciles avec les Iraniens à cause notamment de l’éloignement géographique. D’autres questions méritent d’être approfondies, notamment celle concernant les raisons de l’échec de l’expérience chéhabiste qui a représenté la seule tentative réelle de moderniser les structures de l’État. Dernière question importante, celle liée au Tribunal international pour le Liban – dans la création duquel l’auteur, alors ministre de la Justice, a joué un rôle important – et à son impact concernant l’établissement d’un État de droit.

Ce livre, très riche dans son contenu, apporte une contribution à la réflexion en cours sur l’avenir de l’État à un moment où ses institutions sont quasiment paralysées par les luttes que se livrent les forces politiques peu concernées par les bouleversements que connaît la région.


 
 
© France24
« Le Liban repose aujourd’hui sur un triple découpage : une entité chiite liée à la Syrie et à l’Iran, une entité sunnite liée à l’Arabie Saoudite et une entité chrétienne coupée en deux sous-entités déboussolées »
 
BIBLIOGRAPHIE
Entre l’anarchie libanaise et la dislocation syrienne de Charles Rizk, Dar an-Nahar, 2014, 262 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166