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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Violences plurielles
Violence et politique au Moyen-Orient aborde les problèmes de l’Orient arabe d'une manière claire et concise, sans myopie idéologique et avec une franchise presque déconcertante. Le grand public appréciera.

Par Henry Laurens
2014 - 11
Les sociétés arabes sont entrées en mouvement. Un premier mythe a été aboli, celui d’une exception arabe : l’autoritarisme, le despotisme selon le vieux terme consacré, n’est pas inhérent aux réalités arabes aussi changeantes que celles des autres composantes du monde contemporain. Un second est en train d’être à son tour menacé : les sociétés arabes ne s’expriment pas unanimement selon le discours des islamistes. De nouvelles forces les contestent aussi bien dans la rue que dans les urnes. L’épreuve de la réalité du pouvoir pourrait se révéler mortelle pour le projet utopique islamiste.

Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud partent du constat que la désertion du politique en tant que force régulatrice laisse le champ libre au déferlement de violences sans fin, dramatiques pour l’avenir de la région. On peut éventuellement contester le cadre chronologique choisi ici, qui part de la constitution des États au lendemain de la Première Guerre mondiale qui auraient été imposés par la force à des sociétés plurielles. Je suis moi-même convaincu qu’il faut partir dès les débuts de la question d’Orient à la fin du XVIIIe siècle et considérer que ce que nous avons ici est la continuation chronologique et géographique des tourmentes qui ont frappé les Balkans puis l’Anatolie. De plus, il n’y avait pas de forces politiques cohérentes capables de réaliser un projet unitaire à la fin de la Première Guerre mondiale du fait même que les sociétés du Proche-Orient étaient plurielles.

Les auteurs procèdent à un découpage thématique qui a sa justification logique, mais ils ont bien conscience que toutes ces violences sont emboîtées les unes dans les autres. Ils partent donc des violences territoriales. Ils considèrent que la constitution territoriale et politique des États a conduit à des frustrations souverainistes pour ceux qui en étaient exclus comme les Kurdes et les Palestiniens, ou qui considéraient que leur pays avait été victime d’amputations territoriales (Syriens). Les nouveaux États ont été ainsi fragilisés aussi bien du fait des tensions intérieures que des convoitises extérieures. Ils additionnent ainsi les violences internes et externes comme le montre la question kurde. Le conflit israélo-arabe a ainsi constitué un foyer permanent de violences territoriales.

Le second type de violences vient des idéologies : le sionisme d’abord comme justification d’un projet territorial exclusif, le nationalisme arabe ensuite comme contestation des cadres étatiques et comme instrument pour la lutte pour le pouvoir dans un cadre régional, l’islamisme enfin qui combine violence doctrinale et contre-violence politique.

Le troisième type vient des « identités meurtrières ». L’État moderne s’est imposé à une société composée de communautés endogames. La tentation est alors pour le groupe dominant d’établir une homogénéité ethnique et/ou confessionnelle ou du moins imposer son hégémonie aux autres communautés. Cela suscite des replis identitaires qui font des communautés des acteurs politiques.

Le quatrième type repose sur les systèmes autoritaires. Un petit groupe d’hommes plus ou moins solidaires accapare le pouvoir et par là-même s’empare des richesses du pays. En dépit de façades institutionnelles voulant donner l’apparence d’États de droit, ce qui l’emporte est la combinaison des appareils de sécurité, de la corruption et de la captation des rentes.
Dans les relations interétatiques, le droit international est devenu une large fiction du fait du « deux poids, deux mesures » alors qu’il est en même temps trop souvent instrumentalisé par les acteurs.

Les auteurs, qui ont achevé ce travail dans le désastreux contexte d’aujourd’hui, ont voulu dénoncer les maux afin d’énoncer les chemins de la paix : sursaut diplomatique, politiques inclusives, rehaussement de la citoyenneté et développement équilibré. Cela apparaît comme bien peu de choses devant la catastrophe quotidienne, mais c’est déjà bien de savoir que d’autres voies sont possibles.

Ce petit livre au contenu clair et lisible est ainsi riche d’informations et d’analyses. C’est déjà beaucoup et il faut en remercier les auteurs.




Jean-Paul Chagnollaud au Salon
 
Table ronde « Politique, dialogue et violence au Moyen-Orient » le 5 novembre à 18h (Salle B)/ Signature à 19h (Le Point)
 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Violence et politique au Moyen-Orient de Pierre Blanc et Jean-Paul Chagnollaud, Paris, Sciences Po, les presses, 2014, 252 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166