FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Essai
Khairallah T. Khairallah, champion d’indépendances
De tous les vétérans qui ont accompagné la fin de l’Empire ottoman et la naissance de nouveaux États, Khairallah T. Khairallah (1882-1930) est le plus méconnu. Il est donc juste qu’un livre lui soit consacré.

Par Farès Sassine
2014 - 11
Né à Jrane, petite agglomération d’une trentaine de foyers, située à une quinzaine de kilomètres de Batroun, Khairallah fait ses études primaires à l’école du village puis à Kfifane et à Kfarhay. En 1895, il est transféré au collège lazariste d’Antoura. Il s’adapte facilement aux normes éducatives européennes et le français devient sa langue d’élection. À 19 ans, il est envoyé au séminaire Saint Trond à Liège (Belgique). Après trois années de formation, il annonce que « la prêtrise n’est pas (s)a vocation » et qu’il « aime travailler pour quelque chose de grand comme la patrie… ».

De retour à la terre natale, le moutassarrif Muzaffar Pacha (1902-1907) lui crée un poste à sa mesure de commis au service du génie et de traducteur. Mais au remplacement de celui-ci, le poste est supprimé. Khairallah, de 1907 à 1911, enseigne, traduit, interprète et écrit dans divers périodiques. Il publie en 1908 un ouvrage : Autour de la question sociale et scolaire en Syrie. Puis il quitte le Liban pour Paris.

Grâce sans doute à André Tardieu, rédacteur en chef du Temps, Khairallah entra dans le quotidien qui fut le journal le plus prestigieux de la troisième république. Bien des sociétés et des publications « scientifiques » lui ouvrirent aussi leurs portes. Des années durant, il fut le « correspondant exclusif » du Temps dans une vaste région allant de l’Afghanistan à L’Égypte.

Ses qualités intellectuelles et sa position centrale à Paris et dans la presse faisaient se rendre à son petit appartement du 77, rue Denfert-Rochereau, les intellectuels et les politiques : Saad Zaghloul, l’émir Fayçal, le patriarche Hoyeck, Ryad Solh, Gébrane, Rihani A. Chawqi, Daladier, de Jouvenel… Il fonda et anima, avec Chekri Ganem, le « Comité libanais de Paris » (1912) dont il fut le secrétaire général, l’auteur d’Antar en étant le président. Comme l’Alliance libanaise d’Égypte créée en 1909, ce Comité joua un rôle pionnier dans la défense des intérêts du Liban : rattachement de la Békaa, « restitution » des ports maritimes, compensations financières…

En 1913, Khairallah est de ceux qui font le mieux connaître les buts du « Congrès arabe » de Paris voire de les définir. « L’empire turc sera réformateur ou ne sera pas », note-t-il.

Quand éclate la guerre mondiale, poussé par son animosité libanaise et arabe contre les Turcs, il s’engage dans l’armée française mais se consacre surtout à la coordination de l’action de ses compatriotes tout en persévérant dans l’action idéologique et les contacts politiques. 

Après la victoire des Alliés, trois grandes tendances se dessinent pour les provinces arabes de l’Empire. Une Syrie arabe indépendante et unifiée sous un chérif du Hedjaz. Une Syrie sous protection française. Une entité libanaise indépendante ayant retrouvé ses frontières naturelles et protégée par la France. Comme d’autres indépendantistes et malgré sa profonde francophilie, Khairallah est de ceux qui préfèrent la garantie des Puissances à la protection française. Il est pour toutes les aspirations arabes à la liberté mais reste un ferme partisan de l’indépendance libanaise : « L’action politique arabe n’existait pas ou, du moins, la grande idée arabe ne s’était pas encore assez dégagée des langes du rêve, quand déjà l’idée libanaise avait pris une forme concrète et s’était affirmée dans le monde entier (…) Que chaque région du monde arabe assure pour le moment son indépendance, sans gêner sa voisine… » Une telle position ne pouvait qu’irriter certains.

Khairallah connut une disgrâce, écrivit sous pseudonyme, se présenta en 1925 aux élections du Nord Liban et demeura, par son érudition, sa puissance d’analyse et son style brillant, le plus profond connaisseur et le meilleur défenseur de « l’Asie antérieure ». Il meurt à Tunis le 25 juillet 1930 où il se rendait pour mener une enquête sociopolitique. Il n’avait que 48 ans. Un cortège populaire et officiel accompagna sa dépouille du port de Beyrouth à Jrane.

Traducteur multilingue, poète, journaliste, réformateur social, styliste, publiciste, historien, homme intègre qui vécut dans la sobriété et parfois la gêne, socialiste à ses heures, homme de paradoxes, et par-dessus tout champion d’indépendances, K. T. Khairallah ne cessera de nous révéler ses multiples visages.



Samir Khairallah au Salon
 
Table ronde « La Grande-guerre au Liban : récits historiques et littéraires » le mardi 4 novembre à 17h (Salle B)/ Signature à 18h (Geuthner)
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Khairallah Tannous Khairallah (1882-1930) : La France, le Liban et la question arabe de l’Empire ottoman de Samir Khairallah, préface d’Albert Broder, Geuthner, 2014, 340 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166