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Essai
De l'harmonie à l'amour
La plus belle histoire de la philosophie est le produit d’un dialogue mené par Claude Capelier avec le philosophe Luc Ferry sur cette longue épopée engagée depuis l’Antiquité à nos jours pour tenter de « trouver un sens à la condition humaine ».

Par Samir Frangié
2014 - 09
Dans la « préparation au voyage », titre du premier chapitre de La plus belle histoire de la philosophie, Ferry commence par faire une distinction fondamentale entre les valeurs morales de l’histoire qui, toutes, reposent sur deux grandes exigences, le respect et la générosité, qui permettent aux humains de vivre ensemble et les valeurs « spirituelles » ou « existentielles » qui touchent directement à la question de la vie bonne pour les mortels et apportent des réponses aux attentes de l’homme angoissé par la finitude de sa condition mortelle. 

À cette question de la vie bonne qui est « toujours liée, explicitement ou non, à celle de la victoire sur les peurs, notamment celle de la mort, de la finitude humaine », il y a deux types de réponse : « celles qui passent par Dieu (…) – ce sont les grandes religions ; et celles qui s’efforcent de repérer au cœur de nos existences, en se fondant sur la simple lucidité de la pensée, voire de la raison, une source de valeurs que la mort même ne saurait abolir – ce sont les grandes philosophies ».

Pour Luc Ferry, « le propre de l’histoire de la philosophie (…) c’est que les périodes nouvelles n’effacent pas les anciennes ». Il remonte donc jusqu’aux présocratiques et relève cinq grandes réponses à la question de la vie bonne. 

La première avec la philosophie grecque d’Hésiode à Platon et Aristote est fondée sur l’harmonie avec le cosmos ; la deuxième, basée sur l’harmonie avec le divin est liée au salut par Dieu et la foi – nous sommes à l’âge judéo-chrétien – ; la troisième , celle du « premier humanisme », qui commence avec le doute cartésien et se poursuit avec Kant, Hegel et Marx, est fondée sur l’harmonie avec l’humanité et le salut par l’histoire et le progrès ; la quatrième, celle de la « déconstruction », avec notamment Shopenhauer, Nietzsche – « l’ennemi le plus redoutable de toutes les formes de la transcendance » – et Heidegger, remet en question notre foi naïve dans la raison et le progrès ; la cinquième et dernière réponse est l’avènement du « deuxième humanisme » marqué par la révolution de l’amour, l’amour comme nouveau principe de sens.

Luc Ferry reprend et développe les thèmes qu’il avait déjà abordés dans plusieurs de ses ouvrages, notamment La révolution de l’amour, pour une spiritualité laïque (2010). L’Europe, dit-il, a connu une révolution, celle de la famille moderne, avec le passage du mariage de raison au mariage d’amour qui va induire « une formidable montée en puissance de l’amour envers les enfants ». 

Cette révolution silencieuse, mais d’une profondeur abyssale, n’est pas cantonnée à la sphère privée. Elle modifie également notre rapport au collectif, « car la préoccupation de laisser à ceux que nous aimons, à commencer par nos enfants, un monde vivable et accueillant met au cœur de notre vision du politique le souci des générations futures ». 

Ferry note un changement radical par rapport à la « première » modernité. Ce n’est plus aujourd’hui la nature qui est porteuse de risques majeurs et qu’il faut dominer par le moyen de la science, mais cette dernière qui a fourni à l’espèce humaine les moyens de sa propre destruction. La question du partage des richesses qui est au fondement de toutes les politiques s’estompe devant la nécessité d’une solidarité devant des risques menaçants que les États-nations ne sont plus en mesure d’affronter dans le cadre de la mondialisation.

Cette évolution est à l’origine de la naissance de l’humanitarisme moderne. « Le sentiment d’amour qui s’épanouit progressivement dans la famille a induit une montée en puissance de la sympathie pour autrui », car l’amour qui infiltre le lien familial est désormais, sinon le seul, du moins le premier sentiment susceptible de nous faire oublier le « moi », le premier à nous rendre, par extension de la sympathie, moins indifférents aux autres, aux proches mais aussi au « prochain », aux étrangers et à leur détresse.

Nous revenons à la relation à l’autre qui est au fondement de ce changement radical qui s’amorce au niveau de la pensée en ce début de siècle avec les thèmes de l’empathie, de l’altruisme et de la coopération.


 
 
Luc Ferry par Hannah Asouline
 
BIBLIOGRAPHIE
La plus belle histoire de la philosophie de Luc Ferry et Claude Capelier, Robert Laffont, 2014, 429 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166