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Essai
Décomposition ou métamorphose


Par Samir Frangié
2014 - 08


Notre Europe, décomposition ou métamorphose ? est « l’œuvre de deux esprits frères », celui de Mauro Ceruti, philosophe et homme politique italien, et celui d’Edgar Morin. Le livre qui analyse la crise de l’Europe commence par une remontée de l’histoire, jusqu’en 1492, date qui marque le début de l’ère planétaire partie de l’Europe. Mais celle-ci a depuis beaucoup perdu de son importance et n’est plus le centre du monde, mais une province du monde et a besoin pour retrouver un rôle d’une double métamorphose. Elle doit aller au-delà de la nation et reconnaître dans le même temps sa condition de province.

L’histoire de l’Europe, affirment les auteurs, est une histoire de métamorphoses. Elle n’a pas un principe fondateur unique. « Lorsque nous pensons avoir identifié un attribut authentique et originel de l’Europe, nous négligeons son attribut contraire, lui aussi pleinement européen ».

Ainsi l’Europe, c’est le droit, mais aussi l’arbitraire, la démocratie, mais aussi l’oppression, la dignité humaine, mais aussi le racisme… L’Europe échappe à toutes les exaltations comme à toutes les dépréciations par trop radicales.

Civilisation et barbarie se sont entremêlées dans la mondialisation de l’Europe. C’est d’ailleurs l’hégémonisme de l’Europe dans le monde qui va susciter une réflexion salutaire à l’intérieur même de la culture européenne provoquant une remise en question des fondements religieux et culturels de la domination de l’Europe sur le reste du monde.

Une partie de l’ouvrage de ces « deux esprits frères » nous concerne plus directement. Elle est consacrée à la relation de l’Europe avec la Méditerranée qui, de « mer des communications » est en passe de devenir « mer des ségrégations ». Ils citent Fernand Braudel qui considérait la Méditerranée comme le plus extraordinaire mélange de races, de religions, de mœurs et de civilisations que la Terre ait jamais porté et Paul Valéry qui a vu dans la Méditerranée « une machine à faire de la civilisation ».
Mais celle-ci est aujourd’hui l’épicentre d’une grande ligne sismique où les antagonismes Est/Ouest, Nord/Sud, richesse/pauvreté, laïcité/religion, Islam/christianisme/judaïsme… deviennent virulents et mortels. Le Printemps arabe a certes fait naître d’immenses espoirs dans toute la Méditerranée, mais renverser une dictature ne veut pas dire édifier une démocratie. « Mais c’est justement parce que les jeux ne sont pas faits, notent les deux auteurs, que le soutien inconditionnel de l’Europe à l’aventure démocratique arabe ne peut se laisser entraver par la peur d’une immigration de masse ni par la peur d’une réaction islamiste. L’Europe doit comprendre qu’elle doit contribuer à sauver la Méditerranée pour se sauver elle-même ».

La dernière partie de l’ouvrage reprend l’idée de diversité chère aux deux auteurs. Pour élaborer l’avenir, l’Europe doit abandonner le visage de l’humanisme dominateur, reconnaître la richesse et la diversité des cultures humaines et « régénérer le principe constitutif de son identité : le principe de l’unité dans la diversité et le principe de la diversité dans l’unité ». Il faut pour cela substituer à une pensée qui sépare une pensée qui relie, une pensée capable de concevoir la relation réciproque entre le tout et les parties, « une pensée qui reconnaisse son propre inachèvement et qui négocie avec l’incertitude, en particulier dans l’action, car il n’y a d’action que dans l’incertitude ».

Cette pensée qui relie se fonde à la fois sur la diversité de chaque individu qui possède une panoplie de personnalités multiples, et sur la communauté de destin qui commence aujourd’hui à apparaître dans toute sa profondeur, son ampleur et son actualité.

 

Notre Europe, Décomposition ou métamorphose ? d’Edgar Morin et Mauro Ceruti, Fayard, 2014, 126 p.

 
 
 
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