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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Rire de tout, même de la mort


Par Georgia Makhlouf
2014 - 07
À propos de Philippe Bouvard, on sait deux ou trois choses. Qu’il anime depuis près de quarante ans l’émission de radio la plus populaire de France, « Les grosses têtes » sur RTL et qu’une tentative de suppression de la dite émission en 2000 avait provoqué une grave crise à la direction de la station. Que son show télévisé « Le théâtre de Bouvard » a été pendant de longues années une pépinière d’humoristes et que c’est là que plusieurs d’entre eux, aujourd’hui très connus, tels que Mimie Mathy ou Les Inconnus ont fait leurs premiers pas. On sait parfois qu’il fit aussi carrière dans la presse écrite et qu’après des études nonchalantes, il entra au Figaro comme coursier du service photo et finit par y passer 34 ans. Ou qu’il réalisa son rêve en s’asseyant sur le fauteuil de Pierre Lazareff, son idole, lorsqu’il prit la direction de la rédaction de France Soir où il travailla pendant 24 ans. On sait moins que la liste de ses publications est impressionnante et qu’il a à son actif une quarantaine d’ouvrages dont plusieurs pièces de théâtre. 

Le plus récent de ses ouvrages a pour titre une longue phrase qui résume bien son contenu et son ton : Les morts seraient moins tristes s’ils savaient qu’ils pourront encore se tenir les côtes en regardant les vivants. Bouvard indique qu’il s’agit là du troisième volume de sa trilogie qui compte déjà Je suis mort. Et alors ? et Ma vie d’avant, ma vie d’après. Ou plutôt de sa « tri-thérapie ». Car tout le monde souffre du même mal qui a pour nom l’angoisse de la mort, et pour jouer les prolongations et dédramatiser ce qui demeure quand même une tragédie quelle que soit la façon dont on le regarde, Bouvard a choisi un titre aussi long que son existence mais surtout, il continue à tourner autour d’un sujet réputé sinistre en prenant le pari de faire rire. Et force est de constater que le pari est tenu puisqu’il vend des dizaines de milliers d’exemplaires de chacun de ses titres et que le public en redemande.

Bouvard prodigue donc un certain nombre de conseils précieux pour survivre dans la tombe et comme personne n’est en mesure de lui apporter la contradiction, il s’en donne à coeur joie. Il concède d’ailleurs qu’on peut « écrire n’importe quoi sur la mort puisque les défunts qui connaissent vraiment le sujet ont perdu, en même temps que la vie, le goût de la contradiction ».

Après un prologue intitulé « Mieux vaut tard que jamais », le livre se découpe en trois parties : « avant », « après », « pendant » et se complète d’une quatrième qui consiste en un ensemble de lettres écrites de l’au-delà et de pensées diverses. On comprendra donc que l’ambition de l’auteur n’est jamais littéraire et que le livre se veut un prolongement de l’esprit de ses émissions radiophoniques, que ses fidèles auditeurs pourront savourer encore quand il ne sera plus là. Je ne veux pas parler de sa mort, même si c’est l’évident sujet duquel il tourne, mais RTL a récemment annoncé que Ruquier remplacerait Bouvard à la rentrée prochaine et cette fois, il ne saurait sans doute être question de revenir sur ce changement comme ce fut le cas en 2000, quand les protestations des auditeurs eurent raison de la décision de la direction. Bouvard assume donc sans honte ses inclinaisons politiques en faveur de la droite, se réjouit de la débâcle future de Hollande et du retour de Sarkozy, et note avec satisfaction que ceux qui lui avaient gâché la vie sont morts. Tout cela, dans un chapitre qui est le « journal d’un ancien salarié qui ne touche plus que le fond ». Il assume avec une égale bonne humeur sa distance vis-à-vis de la foi et de l’église et reproche au Créateur de n’avoir pas engagé davantage de dialogue avec ses créatures ; il tourne donc en dérision les grands mystiques qui, à l’instar de Jimmy Carter, prétendent recevoir de sa part des encouragements réguliers. Il se répand en conseils de toute sorte afin d’empêcher sa famille et ses proches de vous oublier trop facilement, au nombre desquels on citera : laisser une ribambelle d’enfants naturels de toutes les couleurs, ou effectuer la veille de son trépas un achat immobilier très important payable sur vingt-cinq ans. Il milite enfin pour l’instauration des droits du mort et du citoyen avec possibilité pour le défunt « comme cela existe déjà en Corse, de continuer à voter pendant plusieurs législatures. »

Dans ces mémoires d’outre-tombe, on le voit, l’esprit gaulois et l’humour gouailleur n’ont rien perdu de leur vivacité.


 
 
D.R.
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166