FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Essai
L'Europe des espoirs
Georges Berthoin est un pilier historique de la construction européenne. Il nous explique, entre autres, le long cheminement « de l'hostilité à la fraternité » des pays de l'Europe de l'après-guerre.

Par Henry Laurens
2014 - 04
Georges Berthoin est né en 1925. Son père était un des grands serviteurs de l’État qui deviendra ministre sous la IVe et au début de la Ve République. Il a été élevé en quelque sorte dans les palais nationaux sauf durant les temps de disgrâce politique de son père. Il ne s’attarde pas trop sur ses activités dans la Résistance où il est entré à l’âge de quinze ans. Il a été l’un des combattants du Vercors.

Son insuffisance en anglais le fait échouer au premier concours de l’ENA en 1946. Son père l’envoie alors aux États-Unis où il connaît de nombreuses aventures. Il est même un moment SDF à New-York. Il apprécie combien ce pays a été pour les émigrants une « seconde chance ». Il termine ses études à Montréal.

De retour en France, son père le fait nommer dans un cabinet ministériel au ministère des Finances. Il y apprend le métier de négociateur et le sens de l’État. En 1950, il entre dans la carrière préfectorale. Il est nommé en Lorraine et établit des liens intimes avec Robert Schuman. À la fin de 1952, il est engagé par Jean Monnet comme directeur de cabinet à la Haute Autorité du Charbon et de l’Acier. Il est présent à l’origine de la construction européenne avec la mise en place d’une Commission européenne, d’un conseil des ministres nationaux, d’un parlement européen et d’une cour de justice, le tout en quelques semaines de fin 1952, début 1953. L’ensemble est bâti sur l’idée d’établir un intérêt commun et non de continuer dans les luttes partisanes.

En 1956, il est envoyé au bureau de liaison de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier. Il y reste 17 ans, d’abord comme chargé d’affaires pour finir comme ambassadeur de la Communauté européenne. Il est autant négociateur que propagandiste.
En 1973, on lui refuse la fonction d’ambassadeur à Washington et la France ne lui propose qu’une sous-préfecture ! Il travaille quelques mois comme conférencier pour IBM puis il participe à la création de la commission trilatérale qui regroupe sur un plan de complète égalité des personnes privées du Japon, d’Amérique et d’Europe. Il en devient le président pour l’Europe. L’intérêt de ce club de réflexions est de donner au Japon un statut de complète égalité avec les deux autres composantes. Il contribue à faire reconnaître la notion de l’intérêt commun et une méthode de travail venues de l’expérience européenne.

En 1992, il quitte de sa propre volonté la trilatérale et se lance dans une réflexion sur la gouvernance aussi bien européenne que mondiale. La dernière partie du livre est consacrée à un dialogue sur les origines des difficultés et des échecs de l’Europe, le rôle de l’Europe de l’Est et comment surmonter la crise actuelle de l’Europe.

Cet ouvrage révèle une personnalité exceptionnelle qui a été très largement un homme de l’ombre et d’influence surtout intellectuelle. Il montre combien à l’origine de la construction européenne dont il est l’un des derniers témoins, on a su marier un puissant idéalisme (plus jamais la guerre) et un pragmatisme permanent, le tout se conjuguant dans l’idée centrale de communauté. La conclusion de 2014 est un appel revigorant à l’optimisme.

Ce livre qui se lit de façon attrayante est aussi une sorte de discours de la méthode et comprend le portrait de nombreuses personnalités de la seconde moitié du XXe siècle. Il est moins une invitation à s’indigner mais plutôt un appel à espérer. On doit remercier Gérard Khoury et son inlassable curiosité intellectuelle de nous offrir un tel témoignage qui tranche avec le triste pessimisme ambiant.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Un destin d’Européen, de l’utopie à l’espérance de , entretiens de Georges Berthoin avec Gérard D. Khoury et Danièle Sallenave de l’Académie française, Albin Michel, 2014, 250 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166