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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Essai
Le « curé du monde »
Pape des pauvres, grand réformateur, François est le premier Pape jésuite.

Par Lamia el-Saad
2014 - 03
Grand reporter et spécialiste des religions, Caroline Pigozzi a déjà publié plusieurs best-sellers sur le Vatican, parmi lesquels Jean Paul II intime. Elle nous livre son dernier ouvrage, Ainsi fait-il, consacré au Pape François. On y retrouve sa sobriété, son humilité, sa proximité et sa manière de bousculer le protocole, « fut-ce au mépris de sa propre sécurité ». Son comportement est, d’ailleurs, critiqué par certains au motif que « cela ne fait pas très pape », désacralise la fonction et ôte toute majesté à celle-ci. Mais le Pape François ne veut pas être « le monarque de l’Église catholique ». Il n’est ni sensible à la « tradition figée » qui prévaut à Rome ni « prisonnier de son entourage ». Ses détracteurs, qui le qualifient d’« anticlérical », trouvent qu’il « en fait trop » pour transmettre le message d’une Église ouverte à tous et attentive aux problèmes de chacun et lui reprochent une « spontanéité feinte ». Mais c’est oublier qu’il a eu, de tout temps, envers les pauvres une très forte empathie et une « attitude protectrice et paternelle ». C’est la raison pour laquelle les indigents de Buenos-Aires se sentent aujourd’hui « orphelins et nostalgiques ». Il a toujours détesté autant le protocole que les ornements et craint d’être « étouffé par les structures ».

Si les croyants voient en lui un pasteur rassurant, certains membres de la Curie sont, en revanche, inquiets. Non sans raison… Ce Pape a la ferme intention de réformer la Curie qu’il veut « moins administrative, moins pesante, moins puissante, davantage animée par un esprit de service et organisée comme une institution de coordination ». À cause de sa fragilité pulmonaire et de son âge avancé, le Pape François semble vouloir aller vite. Les innombrables réformes qu’il veut mettre en route « multiplient le nombre de ses adversaires et l’incitent à être aussi rapide que prudent ». Il a trois secrétaires particuliers qui se succèdent au cours de la journée ; de sorte que personne ne connaît l’intégralité de l’agenda papal. Il a également trois chauffeurs afin qu’une même personne ne puisse écouter toutes ses conversations. Il tient à cloisonner et, pour plus de discrétion, compose souvent personnellement ses appels téléphoniques.

Observons que la photo choisie pour la couverture de cet ouvrage est celle d’un Pape au visage à moitié dissimulé par un pan de son habit blanc emporté par le vent. Un vent nouveau qui souffle sur le Vatican et sur le monde, un homme en mouvement. Il a l’ambition d’être un Pape « de transformation et non de transition. » « Jaloux de son indépendance, secret à certains égards et énigmatique », il a organisé ses propres circuits et tient à préserver sa liberté, tout particulièrement à l’égard des puissants de ce monde. 

Et c’est un Pape « très politique » qui a, selon la formule, « finalement très jésuite », du théologien protestant Karl Barth, « la Bible dans une main et le journal dans l’autre ». Comme Ignace, François est un « fin stratège » qui médite sur la manière de traverser un gué ; non pas en se jetant à l’eau avec fougue mais en prenant le temps de remonter et de redescendre la rivière à la recherche d’un passage. « Il est subtil, lucide et volontaire ». Même si sa priorité demeure l’engagement social de l’Église, cela n’entame nullement son engagement politique ; c’est « un Pape qui ne lâche rien » ! Il apporte une certaine modernité et permet de traiter la religion de manière « moins austère ». Ses réflexes jésuites font qu’il n’a pas peur d’utiliser des moyens de communication moderne, notamment les tweets ! Intellectuel, il est un homme de l’oral alors que Benoît XVI était un homme de l’écrit. « Son verbe est clair, ses paroles troublent les consciences, son visage reflète son âme. En un instant, il passe d’une attitude pénétrée à un sourire ravageur ». Le Pape argentin a des gestes chaleureux : il embrasse, bénit, donne des accolades… Il est « tactile », tutoie facilement et parle à chacun « les yeux dans les yeux ». Alors que Jean-Paul II « n’embrassait que les enfants », le Pape François se comporte avec les femmes en « Sud-Américain familier des mœurs où tout le monde s’embrasse sur les deux joues ». 

L’élection de l’Archevêque de Buenos-Aires marque le début d’une nouvelle ère pour l’Église catholique. En effet, derrière l’Argentine « se profile l’ombre d’un immense continent fait de nouveaux pays émergents aimantés par la puissance des États-Unis ». « Premier Pape des Amériques », selon l’expression du Président Obama, François est surtout le premier Pape s.j. Si la première moitié de l’ouvrage de Caroline Pigozzi est consacrée au Pape, la seconde est consacrée à la Compagnie de Jésus et consiste en un dialogue avec le père Henri Madelin qui fut Provincial des Jésuites en France à l’époque où le père Bergoglio occupait cette même fonction en Argentine. Un dialogue au cours duquel elle l’interroge sur cet ordre : sur son origine, ses activités missionnaires, sa vocation pédagogique, ses générations d’anciens élèves, sa dissolution, son rétablissement, ses relations avec le pouvoir, sa richesse, sa longévité, ses défauts, sa réputation, ses quatre-vingt-quatre Provinces à travers le monde, son style, les relations entre le Pape blanc et le Pape noir…
Le Pape François fait constamment référence à sa Congrégation. Mais, comme tout Jésuite, il n’a rien d’un religieux qui pratiquerait un « suivisme béat ». C’est, au contraire, « la marque d’une grande liberté ». Il traite aujourd’hui les membres de son ordre « avec courtoisie mais ne veut pas avoir l’air d’être leur obligé ou de les favoriser ». L’imprégnation spirituelle jésuite du Pape est cependant incontestable ! Elle se retrouve d’abord dans sa manière d’agir et d’intérioriser cette critique du Christ au sujet des responsables religieux : « Ils disent et ne font pas. » Le titre de cet ouvrage énonce clairement cette dynamique : Ainsi fait-il. Son sous-titre aurait pu être : « Simplifier, Séduire et Surprendre » ! 

Le père Madelin revient sur les défis actuels de l’Église et souligne qu’il est « capital » que le Pape « puisse conduire les réformes qu’il a lancées ». Les Jésuites pratiquent l’inculturation qui consiste à annoncer l’Évangile en se coulant dans les cultures locales. Or l’inculturation n’est autre que la traduction savante du « savoir garder l’odeur des brebis » dont parle le pasteur François. Sa vie spirituelle jésuite donne une coloration spéciale à ses formes de prières, à son affectivité et à ses actions. Selon une maxime décrivant la vision de Saint Ignace, il entend « ne pas être enfermé par le plus grand, mais être contenu par le plus petit ». De fait, il se voit bien plus en « curé du monde » qu’en Souverain Pontife. Cela explique sans doute en partie qu’il sollicite autant les prières de ses paroissiens du monde entier…


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Ainsi fait-il de Caroline Pigozzi et Henri Madelin, Plon, 2013, 278 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166