FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Essai
Napoléon sur le divan d’Emil Ludwig
Journaliste et écrivain allemand, Emil Ludwig (1881-1948) était très apprécié de Stephan Zweig, cet autre grand spécialiste de l’âme humaine. Il est l’auteur de nombreuses biographies, mais ce Napoléon est son chef-d’œuvre.

Par Lamia EL-SAAD
2012 - 09
Certes, la vie de l’empereur et les événements qui ont jalonné son parcours ont été rapportés par de nombreux historiens parmi lesquels Thiers, Castelot, Gallo, Tulard, Hamel, Bainville, Vandal… et Louis Madelin dont l’œuvre en 16 volumes demeure une des principales références napoléoniennes. Alors pourquoi donc lire un ouvrage de plus sur un sujet déjà si familier ? 

Parce que la biographie d’Emil Ludwig se distingue par une approche qui passe au crible la psychologie de son personnage. Il révèle, à titre d’exemple, que l’orgueil légendaire de Napoléon serait l’orgueil d’un humilié et trouverait sa source dans les frustrations de la pauvreté du jeune Buonaparte. Il faut se souvenir en effet que durant ses années d’études à l’école militaire, il était l’objet de railleries en raison de l’usure de ses vêtements ; imaginer la rancune que peut nourrir un cœur et le besoin de réussite qui peut naître d’un désir de revanche. Se décrivant comme « un homme qu’on tue mais qu’on n’outrage pas », il aura soin de savourer sa revanche des années plus tard ; « satisfait de voir s’incliner devant lui ceux-là mêmes qui jadis, à l’École de la guerre, blessaient par leur insolence son cœur de cadet pauvre ». 

Ludwig explique également le talent de stratège du général Bonaparte par le goût très prononcé de ce jeune cadet pour les mathématiques, les chiffres et la géographie.

L’auteur éclaire, de même, d’un jour nouveau la vie sentimentale de l’empereur en rapportant de nombreux extraits de sa correspondance avec Joséphine, mais aussi un extrait des Lettres corses de sa jeunesse, dans lequel il confie que le sentiment amoureux est de nature à faire « plus de mal que de bien » et qu’il est utile de s’en affranchir. C’est précisément ce qui explique qu’il n’avait aucune expérience des femmes avant de rencontrer l’épouse du vicomte de Beauharnais… et qu’il l’a aimée d’autant plus que, jusque-là, il avait vécu sans femmes ; qu’il l’a aimée au point de souffrir de son absence sur les champs de bataille et d’en perdre le sommeil…

Ses lectures de jeunesse et l’influence de l’histoire romaine auront des répercussions sur l’histoire de France. En témoignent le diadème de lauriers d’or du sacre, mais aussi le fait que les trois consuls du 18 brumaire soient inspirés des triumvirs romains. Malgré ses pleins pouvoirs, il sera toujours soucieux de rendre l’opinion publique favorable et se donnera les moyens de l’influencer. « Élève de Plutarque, il sait comment les noms passent à la postérité et s’entoure de poètes, d’historiens, de savants et d’artistes italiens. » Il a d’ailleurs toujours cherché dans les tragédies antiques « le reflet de sa propre image ». Également « hanté par l’ombre de Charlemagne », il forma le projet de se faire couronner empereur d’Occident par le pape, projet qui ne vit jamais le jour.

Napoléon sut distribuer des trônes et faire bénéficier de ses largesses sa famille qui n’allait pas tarder à devenir encombrante. Ludwig l’explique par le fait que ses origines corses le poussaient à croire que placer les siens au cœur de son système était un gage de sécurité. Ce en quoi il s’est lourdement trompé puisque sa propre fratrie allait le trahir. 

Si l’auteur ne s’attarde pas sur Talleyrand qui aurait fait un magnifique sujet d’analyse, il insiste en revanche sur la relation très particulière qui unissait Napoléon Ier à Alexandre Ier. Napoléon écrit : « Si le tsar était femme, je crois que j’en ferais mon amoureuse. » Et Ludwig d’ajouter à son sujet qu’il n’y a « rien d’étonnant à ce que cet être faible ait été immédiatement conquis par l’homme fort, ni qu’il l’ait abandonné plus tard avec une inconstance toute féminine ». 

En plus d’offrir une analyse psychologique qui recouvre tous les aspects de la personnalité de l’empereur sans pour autant être ardue, cette biographie regorge de détails amusants qui constituent la petite histoire, laquelle donne tout son piquant à la grande. 

Lire le Napoléon d’Emil Ludwig après avoir lu tout ce qui a déjà été écrit sur lui, c’est un peu comme relire Le Petit Prince à l’âge adulte après l’avoir lu enfant ; c’est découvrir le sens caché d’une même histoire. Un incontournable pour les esprits napoléoniens, un délice pour les esprits curieux… 



 
 
D.R.
« Si le tsar était femme, je crois que j’en ferais mon amoureuse. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Napoléon de Emil Ludwig, Payot, juin 2012, 645 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166