Essai
La fin du Moyen-Orient multiconfessionnel ?
Par Lamia EL SAAD
2009 - 07
En 2009, les chrétiens ne sont plus offerts en pâture aux bêtes fauves, mais jetés en prison. Et torturés pour qu’ils abjurent leur foi. Est-ce possible, encore aujourd’hui ? À la lecture des deux ouvrages Chrétiens d’Orient et s’ils disparaissaient ? et La Persécution des chrétiens aujourd’hui dans le monde, c'est ce qu'on pourrait être tenté de croire.
Antoine Sfeir et Raphaël Delpard lèvent enfin un coin du voile opaque qui recouvre ce sujet tabou : le devenir des chrétiens en Orient et dans le monde. Sfeir a longtemps dirigé Les Cahiers de l’Orient ; et Delpard est un journaliste de terrain, athée, qui a toujours milité en faveur des droits de l’homme. Sérieux et fiables, ils se basent sur une abondante documentation et sur des témoignages de première main ; faisant preuve d’une grande honnêteté professionnelle.
Les minorités chrétiennes d’Orient vivent un exode silencieux dans la quasi-indifférence des gouvernements. Ainsi, l’exode des coptes d’Égypte victimes d’attentats et de pressions diverses ; celui des chrétiens irakiens coincés entre les deux extrémismes chiite et salafiste. Et bien d’autres… Cette régression de majorités en minorités religieuses constitue le caractère spécifique des sociétés chrétiennes qui vivent toujours une relative dhimmitude. En effet, « un statut impose aux gens du Livre un état permanent d’humiliation et une citoyenneté de seconde zone ». Si la dhimmitude est théoriquement exclue aujourd’hui de la plupart des Constitutions des États musulmans, « on lui a substitué parfois des aménagements… » Il en subsiste encore des vestiges, entre autres en matière de statut personnel. En Égypte, on prête même aux Frères musulmans des propos sur le rétablissement de la Jizya. D’après le cheikh al-Barrak, « les juifs et les chrétiens ne sont pas des dhimmis mais des infidèles ; ils sont donc soumis à la charia. En d’autres termes, ils doivent se convertir, et dans le cas où ils refuseraient, ils devront être exécutés. » Il en résulte ces violences devenues ordinaires.
En Irak, les chrétiennes « sont obligées de porter le voile sous peine d’être “vitriolées” ». Des Palestiniens se sont fait une spécialité « que l’on pourrait qualifier de viol idéologique » et dont le double objectif est de réduire la natalité de la population chrétienne et d’amener de plus en plus de femmes vers l’islam. À noter que le viol est une pratique légale dans les pays où s’applique la charia. En Égypte, « des jeunes filles coptes… sont régulièrement enlevées et forcées de se convertir à l’islam ». En Algérie, « il suffit qu’un citoyen ait dans sa poche un exemplaire de la Bible, qu’il adopte une attitude de recueillement dans un lieu public pour que la police aux aguets l’arrête... Le crime de l’inculpé tient toujours en un seul mot : “chrétien”. Les“ nouveaux martyrs” se comptent par dizaines chaque semaine ». En Turquie, trois éditeurs chrétiens « eurent le ventre ouvert, furent éviscérés, puis émasculés ; doigts et nez coupés, anus tranché. Enfin, ils furent décapités ». Dans les pays du Golfe et dans tous ceux dont le système juridique est directement inspiré par le droit musulman, « selon l’interprétation très stricte de la loi islamique, l’apostasie est punissable de la peine de mort…Les cultes non musulmans sont interdits en public et ceux qui s’y risquent sont emprisonnés, fouettés et parfois torturés. » Ainsi, le clergé constitue-t-il une cible privilégiée. « Les assassinats perpétrés contre les représentants de la foi sont de plus en plus nombreux, et d’une rare sauvagerie. En 2008, on verse encore son sang pour oser répandre la parole du Christ. » « La violence antichrétienne est bien un moyen d’éradiquer la présence de cette foi en tuant physiquement ceux ou celles qui s’en réclament. Ou en les poussant à s’expatrier. » Et cela se traduit par des chiffres… « En 1990, la population chrétienne de Bethléem s’élevait à 60 % ; en 2001, elle descendit à 20 % et en 2008, elle n’atteint pas 1 %. Il n’aura fallu que 18 ans pour vider Bethléem, la ville de la chrétienté par excellence, des chrétiens arabes. » Ce processus de disparition de l’Église « se joue à très court terme… Nous assistons à la fin du Moyen-Orient multiconfessionnel. Et la disparition des Arabes chrétiens risque de plonger toute une partie du Moyen-Orient musulman dans une sorte de chaos ».
Mais la persécution des chrétiens de par le monde ne s’arrête pas là. Les pays issus de l’ex-URSS et les régimes marxistes continuent d’être des dangers pour des millions de chrétiens. Le Vietnam, le Laos, l’Inde, le Japon, la Chine et le Belarus font partie des nombreux pays dont les prisons regorgent de prisonniers religieux. En Corée du Nord, « la dictature de Kim II-sung s’est inspirée des goulags soviétiques pour installer des camps de concentration. Les chrétiens sont systématiquement et résolument exterminés ». Au Soudan, villages brûlés, massacres, viols, vente de femmes et d’enfants esclaves, tortures sont monnaie courante. Les armes de la faim et de la maladie sont utilisées. « Le Soudan est un pays de génocide. C’est un lieu d’extermination de la vie humaine. »
Parmi les nombreux pays où les chrétiens sont persécutés, certains sont, depuis leur adhésion à l’ONU, signataires de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 15 stipule que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », et dont l’article 18 évoque la liberté du culte : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » Mais le quotidien des chrétiens de ces pays est ponctué par la fermeture et la destruction des lieux de culte, par les arrestations arbitraires, la torture, les assassinats… Les messes sont célébrées dans des églises de maison, des caves, des garages… Étrange retour au temps des catacombes. Ce qui interpelle surtout, c’est la banalisation de cette violence antichrétienne qui redouble d’intensité. « Le silence des nations à son endroit semble lui apporter une sorte de légitimité, comme s’il s’agissait d’un mauvais coup du sort, d’une fatalité devant laquelle la seule réaction possible serait l’aveu d’impuissance. »
Sfeir et Delpard lancent un cri d’alarme. Il nous appartient de l’entendre, de l’accueillir et de lui faire écho ; de lutter non pas contre le mal, mais contre l’indifférence au mal.
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