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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie

Naissance et mort de cultures, Didier Bourda raconte les Amérindiens, les colons français et le Grand Ouest canadien. Au fil de surprenants poèmes, histoire, géographie, géologie, ethnologie et langage se répondent. 

Par Ritta Baddoura
2017 - 12


Galerie montagnaise, dernier recueil de Didier Bourda en voie de parution imminente chez Lanskine, étonne à bien des égards. Sans doute dans sa première partie audacieuse, qui se démarque de la deuxième Route 138 et de bien d’autres recueils plus généralement. Elle s’intitule Pistes de l’os de l’épaule. Le poète adopte une approche où l’ethno-poésie s’ouvre à la topographie affective, anatomique, géologique et symbolique des êtres et des lieux. Le parti pris de Bourda ne se résume pas à des explorations conceptuelles et formelles. Il va quêter la moelle le long de superbes Pistes de l’os de l’épaule. 
«?La crête oblique d’une omoplate est exposée là-bas à des charbons ardents. L’interdiction d’assembler le moindre alphabet de la forêt. Maintenant mes yeux c’est seulement des cercles. Les animaux ma bouche. Entre les différents degrés de la chaleur. Craquement dans le bruit des turbines, retour en 6. Épaule mise à bouillir immédiatement. La viande rendue par l’incendie. Vous qui traversez l’histoire merci de laisser dans la neige l’empreinte des marchandages désagréables.?»

Bourda avance sur les traces du Baron de Lahontan et des premiers colons français et britanniques – le poète Jerome Rothenberg quant à lui, accompagne Route 138. Il va à la rencontre de ce qui fut la Nouvelle France, colonie du Royaume de France, entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Avant l’arrivée des Européens, tout appartient à la terre. Humains et animaux y vivent librement en harmonie avec les éléments. Le colon apporte avec lui frontières, ségrégation et réserves, autres croyances et langues, guerres et génocides. Le colon pose la notion de propriété. Sa langue et sa parole changent les concepts et le sens. Posséder et disposer de la terre, de ce qui la peuple et de ses si précieuses ressources devient un enjeu majeur, politique et économique. Il reste d’actualité. 

«?S’il boit l’eau du fleuve après tout le français devient apte à flotter son noyé. L’important c’est qu'à défaut de fond ce que touche ma voix soit encore un axe. Tu dois faire la part du vertical et de l’horizontal usé par la Royale depuis Samuel de Champlain. Ceux-là n’entendent plus la voix qui leur parlait de l’Arbre dit l’Indien. Ni tiens ni miens ces lieux installez-y vos cartes. Ventre-Parler à l’intérieur de l’ours. Français parti violent le dernier de la bête.?»

Les poèmes de Bourda entament une recherche documentée – parfois traversée de contenus Wikipédia – qui évolue en réflexion sur tous les bouleversements advenus du fait de l’homme et transformant les paysages physiques et mentaux. Le parallélisme entre les processus naturels – cours des fleuves, cycles naturels et érosion –, les approches linguistiques et les procédés diplomatiques et politiques est investigué. En filigrane cheminent des pensées plus personnelles, en résonance avec ce qui amène le poète aujourd’hui à faire le voyage en terre amérindienne. La poésie esthétise les élaborations.

Le français dans ce recueil est infiltré et interrogé par des mots issus de différentes langues. Tout comme jadis le basque, le gascon, l’anglais, le français, infiltrèrent et travaillèrent les langues des indiens du Grand ouest, notamment celles des peuples algonquiens et innus – le terme innu ou innu-aimun signifiant être humain, est adopté à partir de 1990 et remplace le terme montagnais donné par les premiers explorateurs français. La colonisation de l’identité, de l’espace et du temps, passe par la langue, rappelle Bourda. 

On apprend tant de choses en lisant Galerie montagnaise. Un recueil plein d’appétences en dépit de la gravité des constats établis. Tout un retour à l’émerveillement enfantin face aux mots inconnus qu’il va falloir chercher à comprendre dans les livres et le dictionnaire, et aujourd’hui via Internet aussi. Heureusement d’ailleurs, puisque pour chercher un mot et le trouver, il faut commencer par saisir dans quelle langue il parle. Suivre les langues et les mots, os par os, de la Galerie montagnaise. La veine poétique y transcende l’inéluctable et l’interrompu.

«?De quoi nourrissez-vous votre espérance ? Que du central ici, de l’unifié, du récif. Quid du politique?? Ici tout un peuple de filles te parlera des internats du génocide. De l’Indien-tué- dans-l’enfant de Sept-Iles ou Pointe-Bleue. Un instant j’ai cru voir la politique remonter mais non, rien. Nous sommes moins que rien dans la bouche du français c’est pour ça. De taille très petite aisément dissimulables au milieu des Affaires Indiennes. Que voulez-vous?? Je veux le nom des choses.?»
 
 BIBLIOGRAPHIE
Galerie Montagnaise de Didier Bourda, Lanskine, 2017, 128 p.
 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166