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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie



Par Antoine Boulad
2016 - 01



La poésie de Gérard Bejjani se lit à haute voix comme elle s’est sans doute écrite?: dictée dans le palais, elle a passé la caresse des lèvres?; elle s’est articulée autour de la langue qui s’est enroulée autour de puissantes assonances et allitérations qui l’ont mise au monde. Des sonorités sophistiquées et élégantes, des musicalités ardentes. Des reprises rythment le poème, sortes de refrains qui le charpentent?: («?Il me manque tant…?», «?Insensiblement…?», «?J’ai peu de temps à rêver encore?»). On entend aisément le poète dire ses textes en les écrivant, réciter «?l’asphalte malade?». «?Les pluies qui bruissent?». «?Des frôlements étouffés?», «?Tes psaumes sur nos épaules?»… On entend le poète parler à tu, à toi?: «?Tu t’imagines souvent…?», «?Ne tourne plus la page…?», «?Je cherche encore/ rien que l’ombre/ de ta lumière?». 

C’est le premier plaisir paradoxal de ce recueil?: une poésie de l’oralité et en même temps une écriture dont l’ordonnance est finement ciselée, avec une précision d’orfèvre.

La poésie de Gérard Bejjani est pourtant parfois non pas hermétique mais secrète… Elle procède pourtant de mots simples et sensuels, des mots le plus souvent à portée de main. Des mots tangibles, en chair et en os. Aucun ou peu de mots du champ spirituel. Pourtant, certains poèmes demeurent malgré tout sibyllins, comme fermés sur eux-mêmes. Et c’est la seconde intrigue de ce recueil?: d’un côté, une intimité certaine, révélée avec une courageuse audace?: «?Si je suis une fille enfermée dans un homme?», «?Je ne sais plus qui j’aime/ si c’est l’homme, si c’est la femme?», et de l’autre, le véritable enjeu de certains textes demeure voilé, dans l’ombre.

Ce clair-obscur n’est pas partagé par les toiles du peintre Maroun Hakim qui éclatent en couleurs en une magnifique palette de grand jour. Pousses reproduit vingt-quatre toiles datées pour la plupart de 2014 tandis que Glaces en compte vingt-trois. Avec un tel nombre d’œuvres, il ne peut s’agir que d’une exposition 2015 du peintre, les pages de ces recueils devenant cimaises.

Les thèmes récurrents de la poésie de Bejjani sont familiers. L’enfance, «?Je n’en peux plus de grandir?», l’absence, «?depuis qu’elle est partie dans le silence d’octobre?», «?Le bruit de ma mère?», «?Dans la baie féconde, sous un ciel en avance, je t’ai embrassée grand-mère/ pour la dernière fois?», l’amour, «?Tes prunelles miroitant de colombes?», les saisons, le printemps dans Pousses, «?Dis-moi, avril/ Si le printemps revient toujours?», l’hiver dans Glaces, «?Ne t’inquiète pas mon amour, le soleil revient?» et la maison «?sans murs?», la maison «?aux bras pelés?», à «?la vitre embuée de givre et de silence?», celle dont le charme est «?la porte transparente?», la maison de ses parents «?qu’on ne vend pas?», celle qu’il regrette de n’avoir plus «?là-bas sur la colline?». Enfin, le poète, «?Son tricot de laine/ usé de rides et de chagrins?», ce «?voyageur pour elle?», celui qui «?touche le poème?» et y reste seul, «?sans quai, sans rive, sans mémoire?».


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Pousses de Gérard Bejjani, L’Harmattan, 2015, 60 p.
Glaces de Gérard Bejjani, L’Harmattan, 2015, 65 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166