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Poésie
Le Temps selon Abdo Wazen


Par Alexandre Najjar
2015 - 01
Considéré comme l’une des valeurs sûres de la poésie arabe, Abdo Wazen a à son actif de nombreux recueils de poèmes dont La forêt close (1982), L’œil et l’air (1985) et Les portes du sommeil (1996), et un récit érotique censuré, Le jardin des sens, qui avait défrayé la chronique en 1993. Hanté par les questions spirituelles, il a également publié un essai sur le poète soufi El-Hallaj et deux études sur Jean de La Croix et Thérèse d’Avila. Traducteur, fin connaisseur des lettres arabes et du théâtre, il est rédacteur en chef de l’excellente page littéraire du journal Al-Hayat. Dans son dernier recueil Al-Ayyam laysat linouwaddiʻha, dédié à Ounsi el-Hajj, il nous offre 84 poèmes remarquables qui ont le temps pour principale préoccupation, bien qu’ils abordent des sujets aussi divers que l’amour, la mort ou les tragédies des peuples syrien et palestinien (« Comme s’ils dormaient », « Les clés »). Comment s’en étonner ? Le temps a, depuis toujours, obsédé les poètes, de Ronsard à Aragon en passant par Lamartine (« Le lac »), Baudelaire (« Horloge ! Dieu sinistre, effrayant, impassible/ Dont le doigt nous menace et nous dit : Souviens-toi ! »), Apollinaire (« Allons plus vite ») ou Rimbaud – auquel Wazen rend un bel hommage (p.28). Ce recueil se situe dans le prolongement de cette tradition bien établie : dans chaque poème, chaque vers, dans le titre même, on éprouve cette hantise de l’automne, de ces heures qui s’écoulent mais qu’on aimerait figer, et cette angoisse de la mort, symbolisée par l’émouvante et longue mélopée dédiée à « la belle endormie », décédée à 40 ans, à la fin du recueil. Dans un style limpide où le rythme et la structure, ponctués de leitmotive et d’enjambements, rappellent le balancier d’une horloge, Abdo Wazen nous parle des saisons de la vie, des jours « qui tombent comme les feuilles d’un arbre », du poète qui « subtilise deux ou trois étoiles à la nuit », de ce livre ouvert et « silencieux » dont on tourne les pages, de ce passé qui « s’enflamme comme une fleur », et de ces « nuages sans âme et ces oiseaux sans yeux » qui traversent le « ciel nu » de notre existence… Point de pessimisme dans son œuvre, mais une grande lucidité, à peine teintée d’amertume : nous sommes pareils à ces « pêcheurs de l’inconnu » qui lancent leurs filets dans « le bleu de l’impossible », qui boivent « l’élixir de la vie » qu’ils ne connaissent pas et qui « se contentent de cette brise qui laboure leurs visages » et de cette « lune dont ils respirent la lueur argentée ». Dans un récit intitulé Cœur ouvert, Abdo Wazen a raconté, en 2009, l’expérience qu’il a vécue à la suite d’une opération au cœur : c’est sans doute cette épreuve qui a engendré la clairvoyance qui caractérise aujourd’hui ses vers et renforcé la dimension existentielle de son œuvre. « Ah! Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie », écrivait Alfred de Musset. Il ne croyait pas si bien le dire...

 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
ON NE PEUT DIRE ADIEU AUX JOURS (Al-Ayyam laysat linouwaddiʻha) de Abdo Wazen, Dar Al-Jamal, 2014, 168 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166