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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie
Germain Nouveau, l'inconnu d'Aramoun
Poète vagabond aux vers érotiques, burlesques, méditatifs ou mystiques, poète zutiste mais aussi surréaliste et dadaïste avant l’heure, peintre et chanteur ambulant, ascète hippy catholique, Germain Nouveau a visité, souvent à pied, au moins autant de pays qu’il n’a pris de pseudonymes. Arrêt sur l’épisode libanais d’un poète entier et complexe, qui n’a eu de cesse d’effacer sa propre trace.

Par Ritta BADDOURA
2014 - 02
Tenter de cerner le portrait et l’itinéraire de Germain Nouveau relève de l’impossible. De l’inutile aussi. Le poète lui-même, né en 1851 et mort en 1920 à Pourrières (Var), semble avoir dédié sa vie à éparpiller et gommer ses empreintes. Germain Nouveau fut incessamment mobile tel un globe-trotter, un fugitif, ou un derviche tourneur. Remonter le temps sur ses traces, c’est accepter l’erreur, l’incertitude et l’infini des possibles. C’est accepter aussi de ne pas le réduire, ni au poète innovant (il fabriqua et expédia dès 1913 une revue manuscrite : La Presse du Pauvre, au format et support de carte postale), ni au voyageur polyglotte, ni à l’artiste vagabond, ni au délirant mystique, ni à l’ascète mendiant, ni à l’amant fougueux (son amour pour Valentine, femme-clé de sa trajectoire amoureuse, a inspiré son recueil Valentines).

« N’est-il pas infini le râle/ De bonheur pur comme de sel/ Dans ta matrice interastrale/ Sous ton baiser universel ?/ Et par la foi qui me fait vivre/ Dans ton parfum et dans ton jour/ N’entre-t-elle pas, mon âme ivre/ En plein, au plein de ton amour ? »

Revisiter l’œuvre et le parcours de Germain Nouveau, c’est l’exploration à laquelle Claudie Lenzi et Eric Blanco dédient le septième numéro d’Art-matin. Ce numéro spécial apporte un éclairage engagé, pudique et affectif, sur Germain Nouveau, et tente de recycler ses traces et son absence de traces, au Liban, à Pourrières et ailleurs. Les articles qui le composent, originaux et finement documentés, sont de la plume de poètes français et libanais, dont L. Giraudon, L. Suel, J-J Viton, F. Combes, A. Boulad, S. Zouein et E. Agha-Malak – qui signe un bel article rapprochant Nouveau et Roumi. 

Dans ce qui s’apparente à un roman-photo en noir et blanc, sorte de halte pittoresque et absurde de ce numéro, est relatée la tentative de retrouver le Collège de la Charité Fraternelle et les descendants du père Spath (Chbat = Spath), directeur en 1884 du même Collège, surnommé par Nouveau : « Spath Fluor ». Il a fallu à E. Blanco et C. Lenzi, guidés par A. Boulad (qui partit un temps sur les traces de Rimbaud, qui fut un compagnon de voyage de Nouveau), le flair du détective et l’intuition du chercheur, pour recueillir les témoignages des habitants d’Aramoun. Leur tentative se révèle fertile mais non concluante : les traces de Nouveau qu’ils retrouvent au Liban se rapprochent plutôt du sensoriel distillé par les Sonnets du Liban. Ils réussissent néanmoins à localiser l’ancien Collège de la Charité : à présent désaffecté, l’une de ses parties a été transformée en garage automobile.

« Vous cachez vos cheveux, la toison impudique,/ Vous cachez vos sourcils, ces moustaches des yeux,/ Et vous cachez vos yeux, ces globes soucieux,/ Miroirs plein d’ombre où reste une image sadique ;/ (…) Votre voile vous garde ainsi qu’une maison/ Et la maison vous garde ainsi qu’une prison ;/ Je vous comprends ; l’Amour aime une immense scène./ Frère, n’est-ce pas là la femme que tu veux :/ Complètement pudique, absolument obscène,/ Des racines des pieds aux pointes des cheveux ? »

De l’épisode libanais de Germain Nouveau, on ne sait que peu de chose : il a eu lieu d’avril à juillet/octobre 1884 ; Nouveau a enseigné la littérature et/ou le dessin au Collège Patriarcal des Grecs Catholiques à Beyrouth et/ou au Collège de la Charité Fraternelle à Aramoun au nord-est de la capitale ; il eut une aventure avec la mère d’un collégien ce qui provoqua son licenciement ; de vagues faits relatent ses errances sur les trottoirs de Beyrouth accompagné d’une mendiante aveugle ; le poète adresse une lettre en juillet 1884 au Consulat Français pour demander son rapatriement ; il écrit un recueil intitulé Sonnets du Liban. D’une certaine manière, le séjour libanais, quoique bref dans l’existence du jeune Nouveau (il a trente-trois ans), pourrait être considéré comme annonciateur des années à venir: éphémère, incertain, mystérieux et porteur des contrastes qui caractériseront le parcours social et affectif du poète transitant de l'accommodement avec le système, à la transgression, à une vie de paria puis à la disparition.
« Pourquoi tant d’ignorance au sujet d’un grand poète français, auteur d’un recueil dont le titre à lui seul – les Sonnets du Liban – aurait suffi pour titiller la fibre nationale ? (…) Pourquoi Germain Nouveau ne rejoint-il point Chateaubriand, Lamartine, Flaubert, Nerval, Renan et les autres écrivains français qui ont foulé la terre du Cèdre ? », écrit Boulad. Cette interrogation pourrait être tout autant posée en France : Pourquoi Germain Nouveau est-il méconnu et pourquoi sa contribution à la poésie française demeure-t-elle si bien ignorée alors que nombre de thèses lui ont été, à titre d’exemple, consacrées aux États-Unis et au Canada ? Pourquoi l’édition dans la Pléiade/Gallimard en 1970 de ses œuvres complètes, dans un volume partagé avec Lautréamont, a-t-elle été reléguée aux oubliettes, Gallimard ne rééditant en 2009 que les œuvres de Lautréamont ?

« Je porte un nom assez… bizarre,/ Tu diras : « ton cas n’est pas rare »/ Oh !. je ne pose pas pour ça,/ Du tout… mais… permettez, Madame,/ je découvre en son anagramme :/ Amour ingénue, et puis : Va !/ Si… comme un régiment qu’on place/ Sous le feu… je change la face…/ De ce nom… drôlement venu,/ Dans le feu sacré qui le dore,/ Tiens ! regarde… je lis encore :/ Amour ignée, et puis : Va, nu !/ (…) Tu vois comme cela s’arrange./ Ce nom, au fond, est moins étrange/ Que de prime abord il n’a l’air./ Ses deux majuscules G. N./ Qui font songer à la Géhenne/ Semblent les Portes de l’Enfer ! »

Cela ne saurait être simplement expliqué par l’ombre qu’ont pu faire à Germain Nouveau certains de ses contemporains et amis poètes, à l’instar de Cros, Mallarmé, Rimbaud (avec lequel il partagea en 1874 une chambre à Londres, et pour lequel il écrivit, entièrement ou partiellement, « Départ » et « Royauté », deux poèmes des Illuminations), ou Verlaine (proche ami de Nouveau, il fut témoin de la conversion catholique de ce dernier lors de leur pèlerinage sur les traces de Saint Benoît Labre qui sera dès lors pour Nouveau un modèle de vie). 

Le mystère demeure, peut-être conforté par certains choix atypiques de Germain Nouveau: 1- sous le poids d’un patronyme qui ressemble davantage à un pseudonyme, le poète multipliera les noms d’emprunt, dix-neuf en tout (dont Jean de la Noce, La Guerrière, Humilis) ; 2- Nouveau cherchera à se défaire non seulement du nom, mais de la position socioprofessionnelle, de l’argent, de nombre de liens familiaux et amicaux, jusqu’à user ses pieds aux kilomètres qu’il parcourra en France et en Europe en mendiant, ou en exécutant chansons, portraits, ou jonglages, en échange de quelques sous ; 3- Il refuse toute publication de ses écrits et menace de poursuites ceux qui l’éditent à son insu ; 4- Il passe sa vie, notamment à partir de 1898, dans un dépouillement et une misère extrêmes, et meurt en 1920 à la suite d’un dur jeun de Pâques, 5- Il demande à être enterré dans la fosse commune, ce sera chose faite et ce n’est qu’en 1925 qu’il sera transféré dans le caveau de famille. Poète méconnu et oublié, ou poète en quête d’inconnu et d’oubli ? Insaisissable Germain Nouveau comme gouverné par le retour à l’anonymat, au secret, au non-existant. Il fut habité par une quête mystique d’absolu, et s’orienta le long de maintes endurances, vers l’effacement progressif des traces propres.

 « Mais je ne suis qu’un fou, je danse,/ Je tambourine avec mes doigts/ Sur la vitre de l’existence./ (…) Personne je ne suis, personne ne me suit. »


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
« Germain nouveau, sur les traces du poète de poussières au Liban » de , in Art-matin : Gazette poétique et sociale no7, Plaine Page, 14 octobre 2013, 56 p.
 
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