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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poésie
Christian Bobin, l’homme qui aime les livres, le silence et les roses…


Par Edgar DAVIDIAN
2012 - 12
Qu’on ne s’y méprenne pas en interprétant à tort le titre L’homme-joie, dernier ouvrage de Christian Bobin. Il n’y a pas là l’ombre ou le soupçon d’une joie grivoise ou graveleuse. Mais au contraire, c’est aux antipodes de toute joie vénale que l’on parle ici, en termes mystiques et poétiques, de toute joie immatérielle qui transcende.

La voix de Christian Bobin est certainement à part dans la littérature française d’aujourd’hui. Édité chez Gallimard ou Fata Morgana, l’auteur de Le Très-bas, frémissante biographie de saint François d’Assise (prix des Deux Magots et Grand Prix catholique de littérature en 1993) a fidélisé un public loin des textes rageurs où la vie contemporaine a de singulières dérives ou de tonitruantes stridences. Son écriture, iconoclaste pourrait-on dire, douce comme une poudre d’ailes de papillons, fragmentaire, poétique, d’une lumineuse musicalité, entre coups de griffes et caresses d’anges, à la fois dense et aérienne, porte en elle toutes les tendresses et les courbes d’une sculpture impalpable, finement ciselée.

De quoi parle cet « amoureux  des livres, du silence et des roses » comme il se plaît à se définir ? De tout et de rien. De ce qui fait battre un cœur et de ce qui fait verser une larme. De l’espoir et de l’adversité, du bonheur et de la fatalité de vivre. Avec des mots que certains ont mis au rancart ou presque oubliés. Un agencement subtil et surprenant de vocables et d’images. Une association du verbe et de l’imaginaire qui n’a rien à voir avec la frénésie du laxisme et consumérisme actuels. Moraliste (il écrit des pensées sans avoir le cinglant ou le pessimisme de Cioran), poète (on pourrait le rapprocher de la sensibilité de Joe Bousquet avec des formules plus heureuses et plus joyeuses) et « diariste » (il épingle en botaniste chevronné le quotidien, son terreau d’inspiration favori), Christian Bobin, qui a été formé à la philosophie et mesuré la misère humaine en fréquentant les services infirmiers psychiatriques, restitue la vie en des textes brefs et rayonnants. Petits tableaux pour s’entretenir de ce qui émeut, bouleverse ou éblouit.
Dans L’homme-joie, discret hymne aux moments qui passent et aux souvenirs entre un piano sous les doigts de Glenn Gould ou un violon sous l’archet d’Oïstrakh, l’auteur de Souveraineté du vide explore, à travers des textes d’une transparence qui ont parfois la fraîcheur de l’enfance, la petite musique qui nous réconcilie avec le jour qui se lève. Avec des mots simples. Ces mots qu’il traque sans nul doute comme un chasseur qui court le gibier, avec en plus la préoccupante notion de ne jamais rien tuer ou même blesser… Quinze récits qui ont pour fil d’Ariane des portraits (son père), des rencontres (Maria, l’enfant gitane), des artistes (Soulages et Glenn Gould) et des cris d’amour à des êtres aimés et perdus. Pensées qui interpellent, pour une humanité souffrante en quête de consolation et de paix.

Ce livre s’apparente à un livre d’art avec des pages en bleu le séparant en deux parts, comme un cœur en deux lobes, ainsi que des textes écrits à la main par l’auteur et qu’on perçoit comme un message personnalisé… Un livre pas comme les autres. Un livre à part, pour les amoureux du livre, comme lui. Pour comprendre ce fait, il faut lire ces lignes : « J’ai rêvé d’un livre qu’on ouvrirait comme on pousse la grille d’un jardin abandonné. » Pieux souhait réalisé pour cet ouvrage tout en touches délicates, à la voix douce, un peu mélancolique, mais surtout si incantatoire…  « Écrire, c’est dessiner une porte sur un mur infranchissable, et puis l’ouvrir. »


 
 
© Catherine Hélie / Gallimard
« Écrire, c’est dessiner une porte sur un mur infranchis-sable, et puis l’ouvrir »
 
BIBLIOGRAPHIE
L’homme-joie de Christian Bobin, L’Iconoclaste, 180 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166