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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman



Par Jabbour Douaihy
2019 - 08

Parfois, la fiction vient au secours de la réalité tout comme l’actualité politique ou sociale peut donner l’étincelle pour une œuvre littéraire. Il en est ainsi de cette Algérie qui, selon Kaouther Adimi, «?se cherche sans jamais réussir à se trouver?», reprenant partout les mêmes discours, arabité, islam, traditions ou socialisme. Adimi appartient à cette grande famille francophone maghrébine qui se taille une place de choix dans le paysage littéraire français. Avec Les Petits de Décembre, Adimi en est à son quatrième roman où le fil des évènements de ces derniers mois et les développements politiques tant attendus semblent dessiner les contours de cette histoire de gamins algérois bien décidés.

Le récit prend vite les allures d’une fable?: nous sommes en 2016 à Dely Brahim, à l’ouest de la capitale, dans une manière de terrain vague d’un hectare et demi, au milieu d’un lotissement où habitent surtout des militaires. Les enfants du quartier y jouent du foot et se rêvent parfois en vedettes du ballon rond, le sport qui a fait tout récemment le bonheur des jeunes algériens. Le voisinage offre un échantillon représentatif d’une société où les stigmates de l’histoire sont bien visibles. À commencer par cette vieille mujahida, ancienne de la guerre de libération contre l’occupation française, convertie dans la cause féministe et qui offre son immunité morale au combat des jeunes, ou cet amputé des deux pieds et autres blessés graves de la confrontation entre l’armée et les islamistes, comme celui qui s’arrêta de prier durant tout le conflit intérieur pour ne pas avoir à répéter les mêmes mots que les terroristes, sans oublier le colonel à la retraite qui fonde un frileux parti «?d’opposition?»…

Avec l’apparition de deux généraux d’active très influents dans les hautes sphères du pouvoir et qui brandissent des titres de propriété du terrain de jeu avec un projet tout prêt d’édification de deux villas de luxe pour eux et pour leurs familles, l’histoire tourne à la fable. 

Les petits résistent, lancent des pierres, prennent son revolver au général Saïd qui a eu l’imprudence de dégainer pour les faire déguerpir, ils sont invincibles, on ne les imagine pas en train de conspirer ou d’être à la solde de l’étranger, bref on ne peut pas les combattre avec les mêmes armes réservées aux rebelles adultes, ils sont d’ailleurs les premiers à dénigrer la capitulation de leurs parents face au pouvoir corrompu et prédateur. À partir de là, toutes les manœuvres sont essayées, les parents sont sollicités, on consulte une voyante, on joue sur les réflexes de peur mais en vain, les petits campent sur le terrain et rameutent leurs congénères des autres quartiers contre toute forme d’intimidation.

Bien sûr, toute ressemblance avec la réalité sur le terrain, la démission de Houari Boumedienne et les chutes en série des caciques de son régime est involontaire mais souhaitable. Après les années de braise, les années de plomb et l’âge glacial d’une autocratie militaire alliée à des hommes d’affaires véreux, il fallait une arme magique qui réconcilierait les Algériens avec leur destin et Kaouther Adimi l’a trouvée dans l’obstination des nouveaux venus, dans l’évidence imparable de leur regard porté sur une injustice qui fait partie du lot ordinaire de la vie de leurs parents. 

Pourtant, la fin épouse de près le moment présent dans le soulèvement populaire en Algérie pour une véritable démocratie débarrassée des militaires. L’espoir y est mais l’issue n’est pas claire et les forces conservatrices peuvent toujours l’emporter. 

 
 
 BIBLIOGRAPHIE
Les Petits de Décembre de Kaouther Adimi, Seuil, 2019, 256 p.


 
 
 
© John Foley
 
2020-04 / NUMÉRO 166