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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Jean-Luc Barré : « Tous les écrivains sont des monstres »


Par Georgia Makhlouf
2018 - 09


Journaliste, producteur à France Culture, éditeur – il dirige la prestigieuse collection « Bouquins » chez Robert Laffont –, auteur de nombreuses biographies ayant obtenu à deux reprises le prix de la biographie de l’Académie française, Jean-Luc Barré vient de publier son premier roman. C’est toujours avec beaucoup de curiosité, et non sans une relative appréhension, qu’on se lance dans la lecture, lorsque l’auteur est précédé d’une biographie aussi fournie que prestigieuse.

Le roman met en scène un écrivain plus que célèbre, mythique, qui, au soir de sa vie, accepte de recevoir pour un entretien au long cours, le directeur des pages littéraires d’un grand hebdomadaire parisien. Ce dernier souhaite mener l’enquête sur le grand homme et lever un peu le voile sur ce personnage qui a lui-même entretenu sa réputation de cynique et de pervers, par jeu et peut-être, paradoxalement, pour mieux se dissimuler derrière ses masques. La confrontation va se dérouler dans le décor d’un luxueux palace de Portofino, puis à Genève, dans l’antre du « monstre ». Car Victor Marlioz abat ses cartes d’emblée et, en préambule à la première rencontre, assène à son interlocuteur la déclaration suivante : « Tous les écrivains sont des monstres et, dans mon genre, je suis l’un des pires. Il vaut mieux que je vous prévienne, si vous ne le saviez déjà. »

Le roman est scandé par les rencontres entre l’écrivain et le journaliste-biographe et tourne non seulement autour de la personnalité de l’écrivain (dont les ouvrages sont truffés de « fiascos sentimentaux et d’affrontements passionnels »), mais également autour de l’énigme de la mort de sa fille à propos de laquelle diverses versions circulent. Alexia, qui a été tout à la fois attachée de presse et agent littéraire auprès de son père, était, dit-on, de ses cinq enfants la préférée. Certains font porter à son père la responsabilité de sa mort.

Les dialogues entre les deux principaux protagonistes font la part belle à des considérations relatives à l’écriture, ses liens avec la vie réelle, les motivations qui sont à l’origine d’une entreprise romanesque, et bien entendu, au caractère « par essence monstrueux » de tout écrivain, voué par ses obsessions à faire des victimes autour de lui, se servant avec cynisme de ses proches pour nourrir son œuvre. Barré a puisé son inspiration dans le milieu de l’édition qu’il connaît de près et a emprunté au réel certains des traits de caractère de son héros. Mais peu importe. Car « toute vie est bricolée, la mienne comme celle des autres. Vous la raconterez à votre manière. Et ce ne sera pas moi » ainsi qu’il le fait dire à Marlioz. 

Tous les ingrédients d’un roman passionnant sont là et le suspense – quant à la vérité sur la mort d’Alexia – est tenu jusqu’au dénouement final. Dommage que Barré ne soit pas allé plus loin dans le développement de cette intrigue et dans la complexification de ses personnages qui sont, pour certains, comme des silhouettes entraperçues, esquissées de quelques coups de crayons et pour d’autres, un peu stéréotypés. Car si la lecture est plaisante, le lecteur reste malgré tout sur sa faim.

 
 BIBLIOGRAPHIE
Pervers de Jean-Luc Barré, Grasset, 2018, 214 p.
 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166