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Roman
Voyage en mémoire archaïque


Par Fifi Abou Dib
2018 - 04

Voici le récit des tribulations d’un juif aux portes de Séfarad, pays perdu des communautés juives de la péninsule ibérique qui en ont été expulsées en 1492, conservant pourtant de cette époque, aujourd’hui encore, un sabir judéo-espagnol et une liturgie distinctive.

Pierre Assouline, ancien responsable du magazine Lire, membre de l’Académie Goncourt, romancier, chroniqueur radio, journaliste, biographe, bloggeur (La République des livres) et enseignant, est séfarade, comme son nom devrait l’indiquer en vertu de ses yeux bleus, « azul » en espagnol. Il y a bien chez les Assouline au moins une paire d’yeux bleus par génération, dont celle de l’auteur, mais ce dernier précise que son patronyme renvoie plutôt à ses origines berbères où « Qassoulin » signifie rocher. Plus que tout autre peuple au monde, le peuple juif est hanté par ses origines qu’il lui faut parfois chercher en plusieurs points du globe. Pierre Assouline est à ce titre un écrivain quasi monomaniaque, la plupart de ses romans explorant un angle particulier de l’histoire juive et de ses grands protagonistes, notamment en France, sous l’Occupation. 

Retour à Séfarad ne fait pas exception. À la différence que cette œuvre, à la fois picaresque, érudite et initiatique, emmène le lecteur dans les méandres abstraits, artistiques et intellectuels d’un pays paradoxalement idéalisé, cette Espagne dont la communauté juive a été chassée en 1492, à moins de se convertir au catholicisme, par le décret de l’Alhambra. Isabelle la catholique et son mari Ferdinand d’Aragon venaient de célébrer le nettoyage de la dernière enclave musulmane du Royaume, celle de Grenade où le couple royal avait fait son entrée solennelle. Pour la communauté séfarade, ce fut la première shoah (en hébreu : catastrophe). Du jour au lendemain, ceux qui avaient choisi de ne pas renoncer à leur culte se sont retrouvés sur les chemins de l’errance. Les autres, même convertis, qualifiés de marranes (porcs), ont continué à subir suspicion et persécutions.

Or un jour de 1992, à l’occasion de la 500e commémoration de l’expulsion des juifs d’Espagne, le roi Juan Carlos, descendant d’Isabelle la catholique, exprime à la communauté juive, depuis la synagogue de Madrid, sa volonté de réparer les erreurs du passé et d’accorder aux séfarades la nationalité espagnole en plus de la leur. En 2015, Felipe d’Espagne à son tour déclare aux Séfarades, suite à l’entrée en vigueur de la loi leur accordant la nationalité : « Comme vous nous avez manqué ! »

Il n’en fallait pas davantage pour enflammer l’imagination de Pierre Assouline qui, aussitôt devant cette insistance, décide de lancer son narrateur dans les démarches destinées à lui permettre d’acquérir la nationalité espagnole. L’administration n’est tendre pour personne, et il y a loin de la coupe aux lèvres quand il s’agit d’exhiber des preuves de son ascendance et de son identité. Le nom, l’arbre généalogique, les racines, les branches, le terreau, la culture, la grande histoire et l’histoire personnelle et familiale, tout est passé au crible. L’humour caustique de l’auteur est entrecoupé d’explications et de références d’une brillante érudition. Dans ce roman qui prend parfois des allures d’essai, on croise Goya, un chien triste et un canari suicidaire, Cartier-Bresson, Lorca, Cervantès et son Don Quichotte, Lévi-Strauss, Almodovar, Romain Gary et même Julio Iglesias et Rafael Nadal. Il y a de la nostalgie, de la tristesse, notamment à l’évocation du frère mort sur une route d’Espagne, de l’exaltation, de la vie, de la mort. Un roman bibliothèque qui renvoie le lecteur à sa propre mémoire archaïque et l’incite à chercher son propre pays perdu.
 
 
BIBLIOGRAPHIE 
 
Retour à Séfarad de Pierre Assouline, Gallimard, 2018, 448 p.

 

 
 
© Thierry Suzan
Pierre Assouline nous livre un roman bibliothèque qui renvoie le lecteur à sa propre mémoire archaïque et l’incite à chercher son propre pays perdu.
 
2020-04 / NUMÉRO 166