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Roman
Bakhita, l’esclave devenue sainte
Pour la rentrée, toujours en bousculade et effervescence, Véronique Olmi signe Bakhita, un roman tumultueux et captivant, une biographie aux sous-bois fictionnels, imprédictible dans sa trame, à forte teinte de spiritualité dans sa dimension sociale, religieuse et humaine.

Par Edgar Davidian
2017 - 12


Toutes les grandeurs et misères d’une humanité déroutante, à la fois rapace et charitable, de l’Afrique à l’Europe du XIXe siècle, dans cette fresque bigarrée, débordante de bruits et de fureurs. Une fresque à la mouvance tonitruante qui jette parfois froid au dos par ses aspects de cruauté et plus qu’émouvante par ses coups de hasard où finalement Dieu est au rendez-vous d’un parcours douloureux. 

Au cœur d’un chaos insoutenable d’esclavage, de torture, de viol, de guerre, de traversée du désert pour aboutir au silence d’un couvent et au généreux secours aux enfants et aux malades, rayonne la figure de Bakhita « la chanceuse ». Quelle dérision pour ce prénom qui connaîtra toutes les horreurs et les revers avant de rencontrer la grâce de Dieu pour une petite fille du Darfour, née à au petit village d’Olgassa au Soudan, au destin ahurissant et à faire pleurer les pierres !

Un parcours et un combat pour survivre hors normes qui va de l’enlèvement de la petite fille par des négriers musulmans jusqu’à sa sainteté, par-delà les souffrances d’une terrible maladie, sous la célébration d’une canonisation en 2000 par le pape Jean-Paul II. 

Si Véronique Olmi (aujourd’hui lauréate du prix Fnac pour cet opus qui était d’ailleurs en lice pour plusieurs autres consécrations littéraires dont le Goncourt) s’est emparée de ce sujet qui emboîte le pas aux tristes traversées des migrants actuels, l’enjeu est beaucoup plus grand dans ce saisissant portrait d’une femme malmenée, humiliée, brimée par la vie et les hommes, que Dieu finit par prendre sous son aile et sa protection.

On ne raconte pas l’histoire de Bakhita qui s’est chargée de la raconter elle-même en feuilleton, de son vivant, en Italie, et avec quel succès !

Captive (vendue et achetée comme une bête de somme), domestique (soumise aux diktats de maîtres inhumains), exposée en toute impunité aux effrois du désert et aux scarifications les plus insoutenables, religieuse et sainte, le chemin de croix de Bakhita a été bien long tout en interrogeant l’amour, l’éducation, la solitude, la liberté, la foi…

C’est ce destin au combat permanent et dur, entre affranchissement, procès retentissant à Venise, prise de voile et tumulte des deux guerres mondiales et du fascisme que narre le livre fleuve de Véronique Olmi. On l’imagine parfaitement dans un film aux images retentissantes et qui a d’ailleurs inspiré le cinéaste Giacomo Campiotti qui l’a porté au petit écran… 

Dans une langue aux diaprures étincelantes, sous un regard qui va du scanner le plus impitoyable à un imaginaire débridé chargé d’une certaine poésie, de réflexion, d’observation et de méditation, affleurent toutes les nuances et toutes les phosphorescences d’un destin exceptionnel. De sa chute vertigineuse dans la brutalité la plus nue à la lumineuse élévation vers le Créateur. Afin de cerner l’indicible souffrance humaine pour celle qui est aujourd’hui la « patronne du Soudan ».

Un roman qui prend à la gorge dès les premiers mots. De par l’histoire qu’il propose, par la voix qui le porte, par la frémissante et touchante personnalité de l’héroïne qui plane sur toutes les pages. Peu importe les moments peu crédibles qui sont peut-être l’apanage de l’imaginaire de l’auteure à qui on doit quand même d’avoir entrepris une documentation sérieuse et fouillée pour mener à bon port ce récit bouleversant. Où la triste réalité, hélas, met le dam à la plus démente des fictions…

Un livre passionnant de bout en bout. Et qui, d’une manière ou d’une autre, tout en dénonçant la turpitude humaine, illumine chacun.
 
 
 BIBLIOGRAPHIE
Bakhita de Véronique Olmi, Albin Michel, 2017, 454 p.
 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166