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Roman
Nom de guerre : Marlène
Philippe Djian aurait pu raconter une banale histoire de retrouvailles entre sœurs. Sous la plume de l'écrivain français, celles-ci prennent une intensité dramatique rarement égalée.

Par William Irigoyen
2017 - 04

Dès les premières lignes, le lecteur est mis au parfum : « Il y a des gens qui attirent la foudre ou je ne sais quoi, n'importe quelle calamité qui traîne. » Marlène est incontestablement de ceux-là. Si la jeune femme s'est mise en tête de revenir dans cette localité à la géographie volontairement floue – comme c'est souvent le cas chez Philippe Djian – c'est parce qu'elle veut absolument revoir sa sœur. Et tant pis si celle-ci ne partage pas vraiment son enthousiasme. D'autant qu'en ce moment Nath a fort affaire que ce soit avec Mona, sa fille de dix-huit ans, dont le caractère volcanique n'est pas une légende, ou avec son mari, Richard, un militaire de retour d'Irak et d'Afghanistan handicapé comme d'autres par ce qu'on appelle un stress post-traumatique.

Heureusement qu'il y a Dan, un ancien de l'armée lui aussi, toujours là quand on vient le chercher. Il surveille Richard qui trempe dans des affaires louches mettant sa vie en danger. Il offre une épaule compatissante à Nath qui n'en peut plus des vingt ans de vie commune avec son mari. Et il offre un toit à Mona qui vient de se disputer avec sa mère. Tous les matins il se lève à l'aube, fait ses exercices physiques, comme s'il voulait démentir le cliché sur les soldats de retour au pays après avoir connu l'enfer : « Les types qui rentraient de ces boucheries lointaines finissaient toujours par poser des questions, incapables de se réinsérer, des têtes brûlées. »

Dans cette histoire, rien ne se déroule comme prévu. Le retour de Marlène constitue l'élément déclencheur d'un drame tissé page après page par un Philippe Djian on ne peut plus diabolique. Et pourtant, le lecteur peut bien s'imaginer que Dan va enfin trouver en Marlène le supplément de vie féminine qui lui manquait. Il peut penser que ce même vétéran de la guerre va trouver assez de force en lui pour empêcher Richard de devenir définitivement un hors-la-loi. Il peut même croire un temps que Mona va progressivement comprendre que l'homme sur lequel elle a jeté son dévolu ne veut pas d'elle. Mais non, tout est prêt ici pour le feu d'artifice final. Car il y a tellement de non-dits dans la vie des uns et des autres qui sommeillent et n'attendent qu'une occasion pour surgir.

Une phrase ne saurait mieux résumer la situation : « Il y a cette odeur de guerre et de sourde angoisse qui n'est jamais bien loin. » Et quand toute cette fausse harmonie se transforme d'un coup en nouveau théâtre de guerre, car c'est bien de cela dont il s'agit, les vecteurs de la violence ne sont pas forcément ceux auxquels le lecteur pourrait penser en premier. 

Dans la première moitié du roman un Richard qui évoque son passé de combattant affirme : « On est restés en vie, c'est tout ce qu'on a gagné. On n'a rien gagné d'autre. On est rentré tout nus, les mains vides, c'est ça qu'on a gagné. Je préfère une vie dangereuse à une vie de merde, je vais pas te le répéter. » Cent pages plus loin, quand tout a explosé, Dan lui « répond » indirectement qu'il avait « eu la faiblesse de penser que son retour à la vie civile ne pourrait jamais être aussi dur que les enfers qu'il avait traversés, mais c'était faire preuve d'une grande naïveté ». Une fois la dernière page tournée, le rythme cardiaque du lecteur peut retrouver un rythme normal. Philippe Djian, lui, peut s'enorgueillir d'avoir signé là l'un de ses meilleurs romans.


 
 
« Il y a cette odeur de guerre et de sourde angoisse qui n'est jamais bien loin. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Marlène de Philippe Djian, Gallimard, 2017, 224 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166