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Roman
Aimer… ou se désengluer de la réalité
S’aventurer dans les dédales scabreux des passions est bien une descente suave dans un bonheur malheureux. Sur ce paradoxe, le roman haletant d’Alexandre Jardin se repose magistralement et pathétiquement.

Par Maya Khadra
2017 - 02
Alexandre Jardin ne fait pas dans la dentelle dans son dernier roman intitulé Les Nouveaux amants. La luxure, la perdition, la licence qui atteint son paroxysme vertigineux sont les points focaux de ce roman qui remet en question la définition de l’amour. Celle qui est classique et qui encense les notions rabâchées et aux teintes fades : la fidélité, la constance et tout le tintamarre des mots qui rassurent notre angoisse de solitude. L’Amour, le vrai, dans le roman d’Alexandre Jardin, est celui qui se crée plus d’interdits à transgresser, plus de défis frustrants au point de se transformer en une orgie de retenue. Ce roman qui s’organise comme une véritable pièce baroque constituée d’actes et de scènes délirantes regroupe sur sa scène quatre personnages fantasques et désorientés. Oskar Humpert, dramaturge à succès, sa femme la comédienne très rationnelle Anne, Roses Violente, une bloggeuse qui rappelle par ses tweets les idées irrévérencieuses d’une Emma Bovary, d’une Marquise de Merteuil et qui résume en sa personnalité toutes les contradictions dont a besoin l’imaginaire créatif d’Oskar et le mari de Roses, la charmante et sensuelle mulâtresse, Antoine, homme jaloux.
L’entrée dans ce roman s’accompagne d’une entrée dans l’univers intime des deux personnages : Oskar à Paris et Roses en Loire-Atlantique. Tous deux dans une baignoire. Le choix n’est pas anodin. La baignoire remplie d’eau évoque la matrice chaude qui nous enveloppe bien avant que notre existence commence. D’ailleurs le roman, ne cesse de soulever la dialectique de la vie et de l’existence : « Pourquoi vivre quand on peut exister calmement ? » Or, ces deux personnages dont le cerveau est une véritable « boîte à images » ne peuvent pas se contenter d’exister, de vivre à la marge de la sensualité, voire la folie. Tous deux romantiques, identiques et écorchés vifs s’arriment au port de l’indécence, expérimentent les tranchées obscures et interdites de l’amour, fantasment ensemble et donnent un coup de pied aux convenances sociales. La pièce écrite par Oskar en vue d’être représentée sur les planches de son théâtre prestigieux à Paris s’émaille de leurs messages fougueux et leur vie s’extorque à la dimension du réel et se projette sur la scène. Les salves de reproches échangés par toutes les portes communicationnelles qu’offre la technologie moderne s’incrustent dans les dialogues et la pièce baptisée Les Nouveaux amants fait un tabac.
 
Coup de théâtre
 
Anne, la femme d’Oskar, se rendant compte avec affliction des relations extraconjugales de son mari et rage de jalousie, décide de faire irruption dans l’appartement nantais des deux amants. Vêtue d’un simple manteau, elle ôte ce vêtement et dévoile son corps sublime aux deux amants interloqués. Comme dans la scène saphique et très célèbre du film de Polanski, Lunes de fiel, Anne s’offre à Roses et le mari enchanté et troublé devant cette scène retrouve son amour pour sa femme… elle qui a toujours été un quai, elle lui offrait alors de nouveaux voyages. Ceci nous ramène à réfléchir à la théorie girardienne du désir mimétique. Ce qui agrémente, sauve et stabilise toute relation amoureuse sont les soubresauts des nouvelles promesses… promesses de nouveaux horizons. Anne et Oskar, couple inséparable, recréent un nouveau quotidien et Roses part en Amérique du Sud ; dans un pays où la frénésie des gens et la chaleur du climat ressemblent à son caractère passionné. Fin réaliste d’un roman qui jongle avec la fantaisie.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Les Nouveaux amants de Alexandre Jardin, Grasset, 2016, 342 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166