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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
L’insoumise


Par Carole André-Dessornes
2016 - 12
Ce roman de Négar Djavadi, aux couleurs particulièrement cinématographiques… – rien d’étonnant en effet, l’auteure étant scénariste – nous fait pénétrer dans une société à double face. Il s’agit ici avant tout de quête identitaire : celle de la jeune Kimiâ, sorte de double de Négar, exilée comme elle…

Née en Iran en 1969, l’auteure a fui à 11 ans le pays avec sa mère et ses sœurs pour rejoindre son père et commencer une nouvelle vie en France. Sa famille a été une source d’inspiration et lui a permis de tisser le canevas de son roman, mais il ne faut surtout pas céder à la tentation de transposer la vie de Kimiâ sur celle de l’auteure. Cela reste un roman, même si l’on sait que le roman révèle toujours un peu de l’ADN de son créateur.

Épopée politique et histoire familiale (parsemée de secrets) s’entremêlent pour nous faire vivre de l’intérieur la période du Shah, la révolution iranienne et l’arrivée de l’ayatollah Khomeiny, où un pouvoir tyrannique chassant l’autre laisse la part belle à l’angoisse quasi-quotidienne, aux interdits, à la menace… jusqu’à la décision qui finira par s’imposer : celle de l’exil et avec lui l’arrachement à la terre des ancêtres.

Tout cela, nous le vivons à travers les yeux de la petite Kimiâ Sadr, l’héroïne narratrice, que nous voyons grandir tout en assistant dans le même temps à la disparition d’un monde appartenant définitivement au passé. Cette dernière a bien du mal à trouver sa place, tant dans sa famille que dans la société où les traditions restent bien ancrées. Elle est en permanence en équilibre, un équilibre des plus fragiles… la plongeant dans un profond sentiment d’isolement et de solitude.

Ses parents, opposants au Shah, mais également dans la ligne de mire du nouveau régime des Mollahs vont très vite être synonymes pour Kimiâ et ses sœurs de mise en danger. La peur au ventre s’impose chaque fois qu’il est question de franchir le seuil de l’appartement familial, ou de voir leur mère monter dans la voiture et tourner la clé de contact… autant de souvenirs et traumatismes dont est difficile de faire table rase.

Ce roman est un hymne aux « déracinés », à ceux qui se trouvent à la croisée des routes, ballotés en permanence entre deux mondes, essayant tant bien que mal de se frayer un chemin dans l’incertitude empêchant toute projection dans un avenir possible. Le va et vient incessant, adopté par l’auteure, entre la vie en Iran où Kimiâ nous invite à plonger corps et âme dans la saga familiale, et l’attente dans les couloirs de l’hôpital Cochin où, des années après, elle a entamé une procédure d’insémination artificielle, fait encore plus ressortir ce balancement perpétuel entre univers et un autre.

Le personnage oscille entre la crainte du jugement des autres, le mensonge et le désir encore plus fort d’émancipation qui passera par la rébellion. Elle va transgresser l’interdit ! Ses parents qui n’ont eu de cesse de s’opposer à l’ordre établi, formant le couple progressiste par excellence, seront bien démunis face à leur petite dernière qui cèdera à l’appel à la révolte, mais une révolte plus intime et plus dérangeante. « L’impression d’être déguisée en fille et la conscience soudaine d’en être une » révèle le malaise qui s’impose à elle : Kimiâ, Iranienne… Française… homosexuelle. Les questions soulevées sont celles de l’identité sous toutes ses formes. Mais il s’agit également de maternité, de transmission, des rapports hommes-femmes, de la place des femmes, tout autant que de la soumission et bien plus encore l’insoumission !

« Pour s’intégrer à une culture, il faut se désintégrer d’abord, du moins partiellement de la sienne. » Il est bien question de cela. Désorientale est l’histoire d’une désintégration plus que d’une intégration.

Ce roman transcende la vérité historique et touche à l’universel en évoquant des sujets aussi sensibles et toujours d’actualité.
 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Désorientale de Négar Djavadi, Liana Levi, 2016, 252 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166