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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
La dure loi de la réalité


Par Tarek Abi Samra
2016 - 07


Après son roman La Coquille publié en 2008 dans lequel Moustafa Khalifé a décrit les horreurs des prisons du régime Assad, voici, tout récemment paru, La Danse des sépultures, une sorte de fantaisie historique dont l’idée a germé dans l’esprit de l’auteur durant ses longues années de détention. Lui-même explique dans l’introduction avoir déjà écrit le premier chapitre en prison ; mais les gardiens ayant alors confisqué son cahier, il en a rédigé une seconde version quelques années après sa remise en liberté. 

La Danse des sépultures relève d’un genre littéraire spécifique, l’uchronie (ou histoire alternative), qui consiste à réécrire l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé. Tout semble bien familier et ordinaire au début du roman : deux jeunes hommes – le narrateur et Salam – appartenant au Parti communiste se rencontrent dans une prison syrienne au milieu des années soixante, où ils se lient rapidement d’amitié. Cependant, Salam révèle au narrateur que sa famille est excessivement riche et lui promet de prendre en charge tous ses besoins financiers afin qu’il puisse se consacrer à l’écriture et réaliser son rêve de devenir romancier. 

Lorsque les deux compagnons sortent de prison quelques mois plus tard, le lecteur pénètre dans un monde merveilleux qui rappelle celui des Mille et une nuits. Petit à petit, on découvre l’épopée de la famille de Salam, dont les membres sont les descendants de Khalid ibn el-Walid, l’un des compagnons du prophète Mahomet et probablement le plus grand stratège militaire de l’islam. Dans la réalité, la lignée de ce farouche guerrier s’est éteinte depuis très longtemps, mais Khalifé imagine qu’elle a survécu jusqu’à nos jours, malgré les nombreux massacres (imaginaires) qu’elle a dû subir. C’est à présent une famille d’hommes de religion vivant dans un village où ils possèdent des châteaux splendides munis de caveaux secrets pleins de trésors. Selon certaines rumeurs, le père de Salam serait doté de pouvoirs surnaturels, comme la capacité d’être présent en deux lieux simultanément.

Contrastant avec tout ce passé fabuleux et presque fantastique, l’existence de Salam se poursuit dans un monde très réel : il se marie, persévère dans son militantisme politique, occupe des postes de plus en plus importants au sein du Parti communiste… Mais après une série de coups d’État, arrive au pouvoir le « maréchal alaouite » : c’est bien évidemment Hafez el-Assad (l’auteur ne le nomme jamais), l’incarnation du destin cruel et aveugle qui va détruire la vie des protagonistes de ce roman. Certains seront tués, d’autres emprisonnés et torturés.

C’est ainsi que Khalifé brise la loi du genre littéraire qu’est l’uchronie : au lieu de dévier tout le cours de l’Histoire, sa réécriture de certains événements du passé nous mène à un présent exactement identique à celui que nous connaissons. Cette conclusion est d’une tristesse inouïe ; elle suppose que même la fantaisie la plus débridée est impuissante à imaginer une réalité autre que celle d’aujourd’hui, comme si un dieu cruel avait de tout temps édicté la dure fatalité de l’avènement de la dictature baasiste.


 
 
La Danse des sépultures relève d’un genre littéraire spécifique, l’uchronie, qui consiste à réécrire l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé.
 
BIBLIOGRAPHIE
La Danse des sépultures (Raksat el-Koubour) de Moustafa Khalifé, éditions Dar el-Adab, 2016, 320 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166