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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Souvenirs d’Alger dans Paris solitaire


Par Fifi Abou Dib
2016 - 07

Ce n’est pas vraiment un journal, juste un carnet de notes qui commence par une citation de Virginia Woolf. Rapprochement inquiétant entre le titre : « Des pierres dans ma poche », et l’auteure de Mrs Dalloway dont on connaît la fin tragique au fond d’une rivière, les poches alourdies par des pierres pour mieux couler. La narratrice de ce roman émouvant à force de sobriété et d’économie d’effets est une jeune femme de 29 ans, originaire d’Algérie mais volontairement exilée à Paris depuis quatre ans. Elle qualifie sa vie à Paris de « douillette », entre un studio modeste où sa principale activité consiste à « skyper » avec son amie Amina, manger des frites achetées chez un séduisant traiteur grec, regarder la télévision et dormir. Sa vie est rythmée entre son travail d’iconographe dans un magazine pour enfants, les appels intempestifs de sa mère qui tente de la contrôler de loin et semble y réussir, l’autorité vaine et stérile de Françoise, sa supérieure hiérarchique qui la rappelle à l’ordre pour des broutilles mais qui l’extrait de son isolement et la « relie au monde », la lecture en cachette, au bureau, de quelque roman d’amour et surtout de longues stations sur un banc du square voisin, en compagnie de Clothilde, une SFD devenue son amie. Tout le reste n’est que solitude.

Mais une solitude meublée de souvenirs de là-bas, « la maison », Alger la solaire où les hivers sont brefs mais cinglants. Dans la grisaille parisienne, l’enfance lui serre la gorge et revient en images de fourmis rouges, de foot, de sueur et de crème glacée, de cailloux ramassés qui traîneront définitivement dans ses poches. Non, l’Algérie n’est pas tout à fait un pays où il fait bon vivre pour une jeune femme, mais « on ne quitte pas l’Algérie comme on quitte un autre pays », dit la narratrice. Trop de liens, trop de soleil, trop d’espoir en un avenir meilleur font de chaque départ un déchirement.

Cette jeune femme qui ne parvient pas à trouver un compagnon alors qu’elle a été élevée dans l’obsession du « mariage après le bac » ne s’inquiète de sa solitude que lorsqu’elle se rappelle « le drame de Pithiviers ». Un fait divers qui met en cause une célibataire dans l’assassinat de sa meilleure amie mariée depuis trois ans. La victime lui avait reproché de ne pas « faire de véritables efforts pour trouver quelqu’un ». La narratrice est bien placée pour mesurer cette souffrance, elle dont l’annulaire gauche reste nu et se rappelle sans cesse à son souvenir. Elle qui n’arrive à aimer ni ces Parisiens volages et étrangers à sa culture, ni ces Algériens de France sans imagination ni délicatesse, et surtout sans humour.

Un petit suspense se faufile dans ce carnet où s’alignent comme autant de constats doux-amers les notes d’une vie sans perspective, confinée dans quelques instants dérisoirement parfaits : la petite sœur de la narratrice se marie, il lui faut rentrer pour la cérémonie. Va-t-elle s’enfoncer dans quelque rivière, alourdie par ces souvenirs d’enfance qu’elle égraine comme autant de « pierres dans sa poche » ? « Barre médiane », telle qu’elle se décrit, il ne lui reste qu’à espérer le retour définitif, un jour d’hiver où Alger sera froid. Sa boucle sera ainsi bouclée. Un roman attachant dont la douleur exquise ne manquera pas de retentir en toute jeune femme arabe qui aura fait le choix difficile de l’exil.


 
 
Trop de liens, trop de soleil, trop d’espoir en un avenir meilleur font de chaque départ un déchirement.
 
BIBLIOGRAPHIE
Des Pierres dans ma poche de Kaouther Adimi, Seuil, 2016, 176 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166