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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Six personnages en quête de liens
Plusieurs histoires mystérieuses traversent le dernier roman de l'écrivain français Olivier Rolin. De quoi déboussoler le lecteur assoiffé d'ordre et de logique. Une métaphore sur la littérature et les rapports que nous tissons avec elle.

Par William Irigoyen
2016 - 05



Dariana a soudainement disparu. C'était un jour de juin 1990. Le narrateur de Veracruz attendait « la jeune chanteuse cubaine » au « bar El Ideal, calle Morelos ». Mais « l'étoile de la revue Tropicana de la Havane, qui prétendait non sans quelque excès être el cabaret más fabuloso del mundo » ne se présenta jamais au rendez-vous. Une étoile filante en somme. Depuis, l'homme qui s'adresse à nous lecteurs vit avec le souvenir de celle qu'il assimile volontiers à « un elfe, un feu follet, une gueule d'amour ». 

Nous n'en apprendrons pas davantage sur la disparue. Pas plus d'ailleurs sur cet homme qui nous parle, venu au Mexique pour d'apparents motifs professionnels : « J'avais été invité à l'université de l'État à prononcer des conférences sur Proust. » Mais il ne faut sans doute pas se contenter de cette seule raison. Sinon, comment comprendre ces mots : « Ce pays d'ailleurs, comme la Russie, a de l'indulgence pour les hommes ivres. » ? Souvent, dans l'œuvre d'Olivier Rolin, le déplacement se mue en exil. Intérieur pour commencer.

Les heures s'égrènent et Dariana demeure aux abonnés absents. Et si c'était elle qui, un jour, se manifestait une nouvelle fois, en faisant parvenir au narrateur un pli expédié par la poste ? Il ne comporte « aucune indication de provenance, aucun mot d'accompagnement. Il contenait les quatre récits, brefs et terribles, qu'on va lire ». Commencent alors des histoires dans l'histoire, sorte de structure littéraire gigogne. Quatre nouveaux personnages entrent en scène. 

Les différents éléments de cette bande sur laquelle règne un certain Miller ont au moins un lien entre eux : la contrebande de cigares. Avant d'être vendus illégalement, ceux-ci sont dissimulés dans des livres : « Les formats, les tomaisons, le nombre de pages, permettaient de déterminer avec précision la quantité, le type et le calibre des cigares à expédier, dont les prix ne cessaient de grimper depuis l'interdiction des importations décrétée par le gouvernement américain. » Ses lecteurs le savent bien : Olivier Rolin abrite volontiers dans ses livres hors-la-loi et individus en rupture de ban.

Alonso est de ceux-là. Cet ancien homme d'église a été contraint d'abandonner les ordres pour avoir multiplié les péchés de chair. Depuis, les autres membres de la bande le surnomment « par dérision » Ignace, en référence à Loyola, fondateur de l'ordre des jésuites. C'est le cas de Susana, la femme du chef de clan, sur laquelle lorgne le curé défroqué qui passe désormais une partie de son temps à lui réciter des poèmes en espérant enfin s'attirer ses bonnes grâces.

Il n'est pas le seul à être obnubilé par cette femme. El Griego, dernier personnage de ce singulier quatuor, attend lui aussi son heure. Quand il partageait encore sa vie, ce dernier adorait affubler la Señora de différents sobriquets : « C'était Susana, ma fille, c'était Sabina, la fille du colonel, c'était Sofia, la fille de l'évêque. Que des S. » Trois hommes et une femme dans un huis clos caribéen prêt à tout moment à voler en éclats : voilà le décor de cette seconde scène de Veracruz.

Dernier acte : le retour du narrateur qui n'en finit plus de vivre avec le souvenir de Dariana et qui, comme nous, lecteurs, s'interroge sur son lien avec ces récits. Mais pourquoi, après tout, faudrait-il chercher une quelconque logique à leur enchaînement ? Pourquoi ne pas tout simplement nous abandonner à la littérature qui n'a jamais cherché à délivrer un message de vérité. Ou seulement de « mentir-vrai » comme disait Aragon.


Mais c'est sans doute plus fort que nous. Quand, en fin de roman, deux corps calcinés surgissent brusquement dans l'histoire, notre réflexe de lecteur est encore de nous interroger sur le sens d'une telle intrusion. 

Comme si seules des réponses précises pouvaient nous consoler de notre désir de savoir.
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Veracruz d’Olivier Rolin, Verdier, 2016, 128 p. 

 
 
 
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