FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Roman
Dans le « Novecento » moyen-oriental


Par Fifi Abou Dib
2016 - 05
Rafic Boustani est docteur en géographie, spécialiste des pays arabes. Il livre avec Le Fossoyeur libertin un roman attachant qui emporte le lecteur dans le Moyen-Orient post-ottoman, à la croisée de l’histoire, de la sociologie et de la géographie, de Bloudan à Beyrouth (1899), de Beyrouth à Paris (1920) et de Beyrouth au Caire (1930). 

Pour construire son récit, l’auteur s’appuie sur un prétendu manuscrit trouvé dans leur cave par un couple de retour à Beyrouth après quinze ans d’absence, soit toute la durée de la guerre de 1975. Il aurait été rédigé par un certain Ernest Bahri, négociant en peaux précieuses issu d’une famille grecque-catholique établie à Damas. Ernest, « oncle Nes » comme l’appellent ses nièces, écrit pour ne pas risquer de voir son histoire déformée. Son manuscrit est daté de 1940. Il veut le faire traduire par un Allemand, agent de la firme Bayer, persuadé qu’après la victoire escomptée du Führer, sa langue sera la langue dominante de l’Europe. Tout porte à croire que les deux hommes seront exécutés par les Français. Mais le manuscrit émerge plus de 70 ans plus tard et avec lui ressuscite, sous la plume jubilatoire et prodigue de Rafic Boustani, une époque passionnante où le monde arabe incarne un glamour qu’en Europe deux grandes guerres ont achevé de ternir. 

Prenez un album de photos jaunies, ou ces vieilles cartes postales qui circulent sur les réseaux sociaux. Des jeunes femmes au regard humide, vêtues à la mode des années vingt, aigrette comprise, et de jeunes hommes fringants, cheveux gominés et chaussures bicolores. Imaginez leurs amours, leurs petites et grandes histoires, leurs coutumes et leur vie dans ces paysages que vous avez du mal à reconnaître, un Beyrouth bucolique, des vergers qui s’étendent à perte de vue, des gens qui circulent en train ou étrennent les premières Ford T importées d’Amérique par David Corm et ses fils. Prenez le paquebot jusqu’à Marseille, et de là un wagon-lit pour la capitale française envahie, dans cet entre-deux-guerres, par des aristocrates russes aux mœurs étranges. Rêvez à ces destinations rendues si proches par le chemin de fer, la Palestine, l’Égypte, le Soudan et au-delà. Assistez à la réalisation des premières fortunes. Fermez les yeux, Boustani vous entraîne dans ces « fameuses soirées à bretelles au Bain français, celles des salons de l’hôtel Bassoul ou du casino Tabaris en hiver ». Il vous embarque aussi dans les cabarets du Caire et vous offre une loge, c’est cadeau, pour assister à la représentation de Aïda à l’occasion du remariage du roi Farouk. Certes, ces nombreux déplacements ont des raisons sentimentales, commerciales ou rituelles. La saga familiale, prétexte de ce récit, a au fond moins d’importance que ces lieux empreints « d’élégance et de bon goût » à jamais disparus, qui lui servent de toile de fond et que l’érudition et le talent de l’auteur nous restituent intacts.


 
 
© Lamia Ziadé
 
2020-04 / NUMÉRO 166