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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Impossibles retrouvailles
Du huis clos du couple au quotidien du ghetto de Varsovie, il y a à peine un regard, un demi-mot, chez Gwen Edelman. Une écriture froide et enveloppante, qui rapproche érotique et abject, dans son obsédant souci d’autopsier sentiments et pensées.

Par Ritta Baddoura
2016 - 04
Le train du retour à Varsovie a-t-il jamais quitté Varsovie ? Porte-t-il Jascha et Lilka, deux survivants du ghetto de Varsovie, à la recherche de la patrie-paradis perdu ou vers des retrouvailles avec un enfer familier ? Tout recommence par une invitation que reçoit Jascha Kroll, éminent écrivain d’origine polonaise, installé depuis quarante ans à Londres avec son épouse, la belle et sophistiquée Lilka. Une invitation provenant de la Maison des écrivains de Varsovie. Jascha refuse d’envisager le voyage, cynique, blessé, arrogant. Lilka insiste, rationalise, nostalgique de la Varsovie de son enfance et de son adolescence. Le train pour Varsovie, compartiment glacé, les emportera à travers des paysages enneigés vers un trop-plein de souvenirs.

Retour en arrière ou retrouvailles pour aller de l’avant ? Ce suave voyage murmure que la vie depuis la fin du ghetto n’a été qu’un rêve. En Jascha et Lilka, et dans leur histoire d’amour, la guerre ne finit pas. Dans le train, puis à l’hôtel une fois arrivés à Varsovie, les gestes du quotidien se doublent des marques du ghetto : manger, boire, prendre un bain, entendre des coups à la porte, sont auréolés d’étrange et de résonances funestes.
À l’étroit dans une chambre, un wagon, un lit ou un souvenir, les deux amoureux sont sur le ring. Ils se défient dans l’étreinte et leur lutte est sans merci. Les souvenirs du ghetto de Varsovie où ils se sont rencontrés et aimés, tour à tour les rapprochent ou les opposent férocement. Un temps ciment du couple, leur expérience commune du ghetto, où horreur et trivial train-train journalier s’entremêlent, révèle des fêlures, des points de vue divergents et des secrets. Des nœuds de tendresse également. 

La romancière new-yorkaise Gwen Edelman, lauréate du prix du Premier Roman étranger en 2002 pour Dernier refuge avant la nuit (Belfond, 2002, réédition 2016), expose longuement les zones d’ombre de ses personnages. Elle décrit la barbarie, les modes de survie qu’elle suscite, ainsi que les liens indéfectibles et tortueux des amants. Dans un jeu borderline entre désir et douleur, attachement au traumatisme et haine du bourreau, Lilka et Jascha s’acharnent élégamment à traquer l’autre, à se traquer soi-même, et ne se ratent pas. Puis ils décident de courtes trêves, à chaque fois que la menace de l’effondrement final est effleurée. Si – et c’est bien dommage – le ton se teinte d’un sentimentalisme inutile dans les toutes dernières pages, le deuxième roman de Gwen Edelman reste un huis clos d’une grande teneur théâtrale qui se resserre magnétique autour des protagonistes et du lecteur.


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Train pour Varsovie de Gwen Edelman, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sarah Tardy, Belfond, 2016, 192 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166