FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Roman
Sollers et l'éloge de la pensée en mouvement


Par Josyane Savigneau
2016 - 04
De nombreux romans de Philippe Sollers ont un versant philosophique. Dans l'un d'eux, même, Une Vie divine (Gallimard, 2006, « Folio » n°4533), le personnage principal est un philosophe, Friedrich Nietzsche. Cette fois, dans Mouvement, c'est de Georg Wilhelm Friedrich Hegel qu'il s'agit. Mais il n'est pas tout à fait le héros du livre, au sens où Nietzsche pouvait l'être dans Une Vie divine – un plus gros livre –, bien qu'on trouve dans Mouvement des détails biographiques très importants et éclairants.

C'est plutôt la lecture de Hegel, la réflexion sur sa vie, ses amitiés – au premier chef Hölderlin –, sa philosophie, qui inspirent le narrateur, nourrissent le regard qu'il porte sur le monde comme il va – assez mal est un euphémisme –, orientent son rappel de l'Histoire, son ironie, ses intuitions sur les « mouvements » du futur.

Dans ces variations, très musicales et érudites, sur le mouvement, on va des grottes de Lascaux et de l'intérêt que leur portait Georges Bataille, et que leur porte le narrateur, aux découvertes scientifiques les plus récentes, souvent terrifiantes. Ou au transhumanisme qui se voudrait « une merveilleuse aurore ». Qui a envie de cette aurore-là ? On se promène du côté de Pékin, et on remonte le temps avec les poètes chinois, mais on se retrouve aussi dans la paisible île de Ré, pour prendre le recul nécessaire à l'écriture. On s'amuse à la réécriture de certains épisodes de la Bible. « La Bible est fabuleuse, émouvante, pénible, et souvent comique (ce dernier aspect semble échapper aux commentateurs). » « Ce qui change tout, c'est la mondialisation de la coke », constate le narrateur, célébrant le livre de Roberto Saviano – menacé de mort – Extra pure. « Vous vivez coke, vous respirez coke, vous buvez coke. Le pétrole est nécessaire, mais la coke est un carburant incessant. » L'ironie du propos ne masque pas son caractère effrayant, et malheureusement vérifiable au quotidien.

Mouvement paraît en ce mois de mars, mais il a été écrit bien avant les attentats de novembre à Beyrouth et à Paris. Plusieurs passages semblent prémonitoires. Par exemple celui-ci : « Le vieux Dieu biblique, qui arrêtait le bras d'Abraham au moment où il allait égorger son fils, est dépassé par le Dieu concurrent. On comprend que des tas de jeunes gens, recrutés pour cette guerre sainte, fuient l'Europe et ses vieux parapets pour ce paradis mortel. Allah, le couteau à la main, est grand, pas du tout miséricordieux, inlassable. Byzance, qui en est encore à discuter du sexe des anges, de l'homosexualité ou de la procréation médicalement assistée, frissonne. Sodome est terrorisée, et le grand Village occidental explose. »

En épigraphe de Mouvement, figure cette phrase de Hegel : « La vérité est le mouvement d'elle-même en elle-même. » Et plus loin dans le livre, toujours Hegel : « Le mouvement est l'infini en tant qu'unité de ces deux opposés, le temps et l'espace. » Ces deux phrases sont le principe qui détermine le livre, permettant au narrateur de jouer sur le temps et l'espace, d'aller de Lénine – en rêve –, au pape, de Blaise Pascal à Victor Hugo et quelques autres... Pourquoi l'époque est-elle si réactionnaire en France ? Parce que les Français n'ont toujours pas compris la Révolution française. Hegel, lui, l'a comprise.

Le Sollers de Mouvement, ou du moins son narrateur, est à la fois joyeux et grave, comme l'auteur sait l'être à son meilleur. On ne s'ennuie jamais en le lisant. On rit, on s'étonne, on s'angoisse aussi avant de parvenir à un dernier matin de « grand calme ».


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Mouvement de Philippe Sollers, Gallimard, 2016, 230 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166