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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
Damas dans l’Histoire
Née à Damas, Myriam Antaki rend un vibrant hommage à cette ville martyre.

Par Lamia el-Saad
2015 - 10


L’actualité, ô combien douloureuse, éclipse tout ce que cette ville a vécu et tout ce qu’elle a été par le passé. Sixième roman de cette chrétienne de Syrie, La rue de l’ange surprend à plus d’un titre.

Le choix du personnage principal semble, pour le moins, curieux. Il s’agit d’une fille de joie au nom prédestiné : Magdala. Témoin privilégié de son temps parce que sa maison close de la rue de l’ange était le « passage obligé » de tous les conquérants. Aimer les femmes n’a, hélas, jamais empêché les hommes d’aimer la guerre ; deux manières diamétralement opposées d’affirmer leur virilité.

Intemporelle Magdala… aussi intemporelle que son métier… Une Magdala plurielle qui semble renaître à chaque génération ; avec le même prénom, la même nonchalance, la même lascivité, la même robe entrouverte et la même peau lactée dont la blancheur fit rêver les Damascènes et même les voyageurs de passage.

Le choix du personnage principal semble, pour le moins, curieux, car il ne s’agit nullement de Magdala. En effet, ce protagoniste pourtant récurrent n’est qu’un biais…un dénominateur commun qui assure la cohérence du récit. En réalité, le personnage principal est bel et bien… Damas. 

Véritable matrice où tous les chemins se croisent, où les histoires s’écrivent puis s’effacent, où les destins se brisent… Tout autour de Magdala gravite une pléiade de personnages aussi attachants qu’éphémères ; aux destins souvent tragiques. Ils sont les sacrifiés de l’Histoire. Simples dommages collatéraux ou soldats inconnus auxquels l’auteur donne un nom et un visage ; pour lesquels elle imagine une histoire individuelle. Ainsi, celle d’Othman et de Sinan : janissaires arrachés, dès leur plus jeune âge, aux bras de leurs parents chrétiens et élevés selon la religion musulmane pour devenir les plus fidèles serviteurs du sultan. 

Ces multiples personnages servent à donner de la chair au récit mais n’ont aucune valeur intrinsèque. Seule compte la ville. Tout est prétexte aux descriptions circonstanciées de ses ruelles, de ses églises, de ses mosquées, de ses paysages, de ses odeurs de cédratiers et de jasmin… de sa beauté.
Tout cela n’est qu’un écrin pour la plus belle des histoires. Une histoire qui s’étale sur plus de vingt siècles et mêle intimement le politique et le religieux, mais aussi… le sensuel et le spirituel, le charnel et le mystique ; alternant des passages qui relèvent de la littérature érotique avec des considérations religieuses, morales ou philosophiques ; faisant passer agréablement des messages de dialogue et de paix.

Roman ? À vrai dire, cette mention sur la couverture du livre est quelque peu trompeuse. « Roman historique » serait plus approprié. Véritable voyage dans le temps qui débute avec les débuts du christianisme ; se poursuit avec Arcadius (premier empereur romain d’Orient), avec les califats de l’Islam (Omeyades, Abbassides et Fatimides), les Croisés, les Mamelouks, les Ottomans (le faste, le très long déclin et l’effondrement de leur empire), les massacres de 1860, la Nahda, la proclamation de l’État du Grand Liban, les martyrs de la Première Guerre mondiale, le mandat français, le nationalisme arabe ; et se termine par le second conflit mondial.
L’on y croise des noms illustres et familiers, de Saint Paul à Nasser : Saint Jean Chrysostome, Saint Jean Damascène, Abou Obeida, Khaled Ibn Al Walid, Muawiya, Abdel Rahman, Abdallah Ibn Ali, Haroun Al Rachid, Hamza, Darazi, Saladin, Selim Ier, Soliman le Magnifique, Lamartine, Ibrahim pacha, l’empereur Guillaume II de Prusse, Jamal pacha, François Georges-Picot, le général Gouraud, le commandant Catroux, Robert de Caix, Michel Zaccour, Colette Khoury et bien d’autres…

Si Damas demeure incontestablement le principal protagoniste du récit, il en est un autre… d’un genre particulier… qui brille par son absence. Il s’agit du mystérieux manuscrit de Saint Paul, caché quelque part dans la ville ; et que presque tous les personnages, du plus puissant au plus anonyme, rêvent secrètement de retrouver.

Écrit dans un style fluide, d’une plume qui tient le lecteur en haleine, ce livre n’est pourtant pas de ceux que l’on dévore rapidement. Il est de ceux que l’on savoure… Le lecteur y prendra un tel plaisir qu’il se surprendra à compter régulièrement le nombre de pages qui lui restent à lire. Et c’est volontairement qu’il ralentira le rythme de sa lecture, gagné par la peur de finir. La peur du vrai gourmet : celle de manger trop vite et d’arriver, déjà, à la dernière bouchée d’un dessert.


 
 
© Monocle
 
BIBLIOGRAPHIE
La rue des anges de Myriam Antaki, éditions Erick Bonnier, 2015, 322 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166