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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
L'acrobate en goguette


Par Josyane Savigneau
2015 - 09


En 2012, Michaël Ferrier a publié un texte passionnant et poignant, Fukushima, récit d'un désastre (Gallimard, «?L'infini?»). En cette rentrée, pour son dixième livre, il part sur les traces de son grand-père, Maxime Ferrier (1905-1972), qui a quitté son île natale, Maurice, à 17 ans, pour s'engager comme acrobate dans un cirque, avant de faire fortune à Madagascar et d'être ruiné dans des circonstances mystérieuses.

Cette enquête, dit le narrateur, n'est pas un roman familial, mais «?un jubilé jubilatoire?». Et Michaël Ferrier revisite aussi une partie de l'histoire coloniale de la France, pas très glorieuse, comme en témoignent les propos d'Aimé Césaire à l'Assemblée nationale le 15 mars 1950?: «?Au mépris de la Constitution, vous vous ingéniez à faire de l'Union française non pas une union, mais une prison des peuples.?» Et aussi le «?projet Madagascar?» par lequel les nazis rêvaient «?d'étoiles jaunes sur l'île rouge?» dans leur projet d'extermination des juifs d'Europe.

Le personnage fascinant de cette histoire, celui qu'on aurait eu envie de rencontrer, est ce Maxime Ferrier, que fait magnifiquement revivre son petit-fils, qui l'a seulement rencontré quand il était «?un vieillard fatigué?». Pourquoi a-t-il quitté l'île Maurice?? Probablement parce qu'il est «?un homme qui part?». Il s'appelait alors «?Février?», mais refusait de porter «?le nom du mois le plus court de l'année?». Alors «?Ferrier?», puis d'autres patronymes encore, au gré de son humeur. Mais c'est Ferrier qu'il a transmis à ses descendants.

Pour reconstruire le destin de Maxime, Michaël Ferrier commence par la fin, et un mystère non résolu. Maxime, avant de mourir «?avait fait construire trois tombes dans le cimetière de Mahajanga, une ville dans le nord-ouest de Madagascar où il repose maintenant?». La première revenait à son ami Arthur Dai Zong – dont Michaël Ferrier reconstitue aussi le parcours – un Chinois avec lequel il formait un duo d'acrobates au cirque Bartolini. La deuxième était la sienne. Mais qui est enterré dans la troisième tombe?? «?Nul ne le sait.?»

Grâce à des programmes du cirque, des articles de journaux, Michaël Ferrier fait revivre avec bonheur le cirque Bartolini, dirigé par une femme flamboyante, avec ses trois stars?: Arthur Dai Zong, le petit gymnaste chinois, Axel le funambule, et Maxime Ferrier – au sol, porteur, observateur, voltigeur, au ciel, équilibriste, danseur de cordes, trapéziste. Et surtout, spécialiste du triple saut périlleux avec vrille.

Quand la belle Madame Bartolini disparaît – elle est partie avec la caisse –, Maxime fait des affaires, et se montre aussi doué que pour le trapèze. Arthur, lui, ouvre une salle de boxe, et Axel repart pour l'île Maurice, où il reprend la direction du lycée fondé par son père. Maxime, homme qui part donc homme qui bouge, ne peut se contenter de faire de l'argent. Alors il dessine, il compose une encyclopédie marine, dont il reste quelques planches. Et il séduit. Pauline, la musicienne, dont Michaël Ferrier fait un très beau portrait. Maxime ne se marie jamais avec elle, mais ils ont six enfants qu'il reconnaît. Il partage aussi la vie de Carmen, avec laquelle il a aussi des enfants. Des garçons avec Pauline, des filles avec Carmen. Pauline ne se plaint pas, elle comprend «?qu'on ne peut aimer Maxime pour ce goût de la liberté qu'il sait si bien donner à la vie et en même temps l'en blâmer?». Quand on referme ce roman qui se lit d'une traite, on n'a qu'un regret?: ne pas pouvoir retrouver Maxime et Pauline, aujourd'hui, à Madagascar.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le Colonel et l’enfant-roi. Mémoires d’égypte de Gilbert Sinoué, Jean-Claude Lattès, 2006, 356 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166