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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
L'odyssée ratée d’un nihiliste


Par Maya Khadra
2015 - 08


Au commencement du roman de Fouad Laroui, était le questionnement : « Qu’est-ce que je fais ici ? » Cette interrogation ou prise de conscience inopinée hante le personnage éponyme de cette trame narrative aux résonnances tragi-comiques, l’ingénieur à succès Adam Sijilmassi. Les vicissitudes d’une crise existentielle irrépressible happent aussitôt Adam dans leur engrenage infernal. Adam, le prénom du premier homme sur terre sera aussi celui du dernier homme de la famille des Sijilmassi ; celui qui marquera le divorce et la dissociation de la raison et du bon sens, des origines accablantes et des aspirations de liberté, de l’instinct de vie et de celui de la mort.

L’intrigue évolue comme un mouvement de boomerang. Le héros emprunte une voie salvatrice, à l’instigation d’une voix intérieure qui lui susurrait « Tu vis la vie d’un autre ». Les amarres sont larguées quand une décision péremptoire et irréversible, celle de ne plus jamais prendre l’avion, est prise par Adam bien installé dans son siège de la Lufthansa sans pour autant être libéré de l’emprise d’une angoisse dévorante et presque viscérale. Azemmour, village natal… Ce nom a percolé vertigineusement dans sa tête. Le retour aux origines s’est imposé comme une panacée aux déboires d’un homme qui, à l’automne de sa vie, abandonne sa carrière, sa femme, son appartement de luxe et se dirige à pieds, de Casablanca vers son village natal tel un Ulysse sur le chemin d’Ithaque ou un repenti qui abandonne richesses et biens pour renouer avec ses origines. Cette traversée cocasse et donquichottesque pour vaincre l’ennui et pour saper tous les fondements de la rationalité, qui caractériserait Adam Sijilmassi au même titre qu’un Caligula camusien ou une Emma Bovary flaubertienne, élève le personnage au rang du héros moderne qui refuse de ployer sous le joug d’une société codifiée et pour qui le poème L’homme et la mer de Baudelaire est un credo qui résonne plus fort que les cadres étriqués imposés par la société moderne. Toutefois, cette montée en flèche d’un élan d’indépendance chez le dernier Sijilmassi tourne en débâcle. La trajectoire de l’ascension d’un ingénieur au statut de l’« homme libre » est semée d’embûches. Aux prises avec une crise identitaire, il renie son éducation francophone et rejette les préceptes de Voltaire et les idées du siècle des Lumières pour découvrir l’héritage d’Averroès et de Ghazâli. « Dire adieu à Voltaire ou s’en trouver un qui se prénommait Ali », s’avérait un vaste programme pour l’ingénieur ; lequel programme n’étant qu’un coup d’épée dans l’eau. La quiétude intellectuelle d’Adam, isolé dans la chambre bleue aux murs effrités qu’une tante lui a réservée à Azemmour, est rapidement parasitée par l’intrusion des indigènes du village. Abdoulmoula, Basrit et Bouazza enserrent dans leur étau d’ignorance et de préjugés la liberté embryonnaire d’Adam qui, refusant de jouer à la comédie de l’État et de la religion en s’élevant au rang du prophète (proposé par Basrit) au grand dam de l’adage biblique : « Nul n’est prophète en son pays », enfonce le dernier clou dans son cercueil. La démence habite son esprit et sa tête devient plus que jamais une arène où les idées se battent en duel et se télescopent ; un véritable parlement où « des funérailles nationales » sont fêtées à l’unanimité. L’apothéose de ce personnage qui voulait simplement « briser un cercle d’acier qui lui enserrait la poitrine » vire au drame. L’anti-héros Sijilmassi s’isole dans une cahute sur la plage d’Azemmour où, en solitaire ascète et taciturne, il est condamné à vivre en compagnie de son échec, de sa crise ; celle du monde arabe frappé de désenchantement.

Fouad Laroui par le biais d’une plume qui mitige son récit poignant d’accents humoristiques frisant l’espièglerie d’une finesse captivante et l’humour noir, dessine la fresque d’un monde arabe à la dérive, tiraillé entre Lumières et Obscurantisme et livré à un destin houleux où la démence prévaut !


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166