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Roman
Impertinences et provocation
Deux romans traduits de l'anglais explorent les préjugés de la bourgeoisie britannique et la vie d’un lycée de l’Amérique profonde.

Par Ritta Baddoura
2015 - 07
Lorsqu’en 1985 Mary Wesley publie son troisième roman Harnessing Peacocks (Sucré, salé, poivré), elle a 73 ans alors que Joey Goebel n’en a que 5. Wesley entame sa riche carrière littéraire bien tardivement – à 70 ans – et rencontre un franc succès auprès de ses lecteurs (ses romans se vendent à quelque deux à trois millions d’exemplaires). Goebel, initialement chanteur punk et critique musical, publie son premier roman The anomalies (Les anomalies) alors qu’il a à peine 23 ans et se voit salué par la critique comme une figure montante de la littérature américaine alternative. Résolument politiquement incorrects, dévoilant cependant un noyau romantique où coexistent idéalisme et désillusions, les deux romans qui viennent tout juste de paraître aux éditions Héloïse d’Ormesson ont pour mots d’ordre : liberté, différence et excès. 

Sucré, salé, poivré : touchant et savoureux 
 
Tout commence avec le retour d’Hébé d’un voyage en Italie. L’adolescente, issue de la grande bourgeoisie britannique, est enceinte. La pression de ses proches afin d’opter pour un mariage de convenance, pis pour un avortement discret, ce qui laisserait leur honneur intact, ne la fait pas faillir. Hébé prend en main sa destinée et récalcitrante face à tout ce qui cherche à la soumettre, tourne le dos à jamais à sa famille et aux bonnes manières. Sa liberté de pensée et d’être lui permettra de survivre et d’élever son fils en puisant force et subsistance dans ses deux passions : la cuisine et le sexe.

La plume sans fioritures de Mary Wesley passe au vitriol la bourgeoisie britannique, toujours dans une ambivalence qui entoure ses personnages de tendresse tout en les coiffant de ridicule. En dépeignant une Hébé libre, affranchie avant l’heure des interdits qui pèsent sur la femme, et en brossant une galerie de portraits de femmes et d’hommes aux univers sociaux et mentaux différents dont elle dépeint finement les singularités, Wesley signe une histoire surprenante par bien des aspects. N’y sont épargnés ni préjugés, ni différences de classe sociale, ni racisme, ni sexisme, et pourtant Sucré, salé, poivré se révèle être un roman où une discrète fleur bleue subsiste dans les méandres opulents du jardin à l’anglaise.

Seul contre Osbourne : superbement drôle, intelligent et déjanté
 
Joey Goebel soumet et sublime son protagoniste James à la règle des trois unités du théâtre classique. Un lieu : le lycée Osbourne, dans le Kentucky, au retour des vacances de printemps. Tous en quête de la cool attitude, de la popularité ou de l’oubli, aucun des élèves n’échappe au scanner impitoyable de James, dont les goûts et les opinions marginales ne passent pas inaperçus.

Un jour : littéralement minute par minute, s’étalant sur une journée qui commence à 7h47 du matin et se termine à 15h34 de l’après-midi, le roman égrène les pensées et ressentis de James, ainsi que ses interactions avec ses congénères et ses supérieurs. Ce qui donne une structure narrative indiscutablement originale avec sa maille intense, son suspense et l’impression d’être dans la tête du protagoniste. 

Un fait : à son arrivée dans le parking du lycée, James n’a qu’une idée en tête, revoir Chloe, l’unique créature qui trouvait grâce à ses yeux mais leurs retrouvailles post-vacances imposent vite leur triste constat. Chloe s’est métamorphosée pour ressembler à tout ce que James déteste le plus. Cette goutte d’eau fait déborder le vase. James est désormais prêt à tout pour infliger une leçon inoubliable à ses pairs. Oui, le sacro-saint bal de promo n’aura pas lieu !

La psychologie adolescente en ce qu’elle a de plus vulnérable, excessif, cruel et étonnamment mature est décortiquée par le style décapant de Goebel qui passe au crible la culture de masse américaine via le climax d’une crise d’adolescence on ne peut plus banale et unique.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Sucré, salé, poivré de Mary Wesley, traduit de l’anglais par Michèle Albaret, Héloïse d’Ormesson, 2015, 416 p.
Seul contre Osbourne de Joey Goebel, traduit de l’anglais (États-Unis) par Samuel Sfez, Héloïse d’Ormesson, 2015, 384 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166