FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Roman
Ainsi vont les amours d’enfance ?


Par Farès Sassine
2015 - 05
Entre Wuthering Heights, le roman de la vengeance amoureuse, et Barbe bleue, le conte du secret marital protégé, Michèle Gharios nous donne à lire le récit de la naissance d’un amour dans l’enfance et l’adolescence puis celui de la vie conjugale qui a suivi, le tout sur fond de la guerre du Liban et de la paix qui lui a succédé. Autant les premiers pas de la passion entre un étudiant milicien, angélique et démoniaque, et sa cadette de quatre ans au tempérament « franc et gai » sont décrits en leur romantisme, ludisme et ambiguïtés dans la montagne libanaise, autant la vie en commun, à Paris et à Beyrouth, est dépeinte comme une descente aux enfers. Le vétéran se fait de plus en plus distant et agressif ; il finit par incarner le mâle oriental despotique, ne cesse de chercher à humilier et « lobotomiser » une épouse qui l’aime et le respecte et de la pousser à se détester. Un événement s’est intercalé entre les deux grandes séquences romanesques : la narratrice a livré, avant le mariage, son corps « au bon vouloir d’un amoureux de passage ». Un détail est au foyer de la fiction : des caisses que le mari interdit à la femme, qu’il lui arrive de relire longuement et où il a consigné ses souvenirs d’enfance et de pensionnat.

Après s’être illustrée dans la poésie, Michèle Gharios signe avec À l’aube de soi son second roman. La métaphore du titre est simple et jolie, mais le « soi » n’est jamais sûr : son origine remonte toujours en deçà (les caisses) ou il est continuellement à naître de la décision de se libérer et de s’assumer (la fin du roman). On retrouve dans l’ouvrage les principales qualités de l’auteure : l’élégance, la limpidité, l’« élévation ». La guerre libanaise est traitée avec beaucoup de pudeur, sans haine, sans parti pris. Le style est imbu d’une poésie discrète et épouse le rythme de la narration ; pas de pathos, peu de moralisme, mais sans doute l’abus d’une psychologie et d’une psychanalyse faciles… dans le traitement d’une histoire dense et violente. Terminons sur cette phrase bucolique mais non sans ambivalence : « Le paysage était différent, et le chemin semblait tout autre avec les arbres dénudés et le tapis vert qui donnait à la montagne l’allure de pâturages inattendus où paissaient les maisons de pierre, et les treilles où s’enroulaient les troncs de vignes comme des serpents. »


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
À l’aube de soi de Michèle M. Gharios, La Cheminante, 2015, 196 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166