FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Roman



Par Charif Majdalani
2015 - 04
Dans son dernier roman, Le consul, Salim Bachi se met dans la peau d'un diplomate portugais qui aida des milliers de personnes à échapper à la persécution nazie. L'histoire de Aristides de Souza Mendes est encore méconnue, à l'instar de la plupart de celles de ces héros qui, comme Oscar Schindler, sauvèrent tant d'hommes et de femmes de la mort et moururent eux-mêmes dans une relative obscurité. Issu d'une famille aristocratique portugaise, Aristides de Souza Mendes mena une carrière diplomatique classique, entre Zanzibar, San Francisco et la Belgique, avant de devenir consul du Portugal à Bordeaux en 1939 et 1940. C'est à ce poste, en cette époque charnière, qu'il dût faire face à un immense afflux de fugitifs de toute l'Europe fuyant les nazis et espérant obtenir un visa pour le Portugal, pays de passage vers les Amériques. Décidé à profiter de ses prérogatives consulaires pour les aider, De Souza Mendes est très confronté à un terrible dilemme, parce que le Portugal de Salazar décide à ce moment de ne plus délivrer de visas aux personnes poursuivies par la vindicte nazie. Essayant tout d'abord de ruser avec les circulaires officielles et les ordres de son ministère, le consul, après une crise morale aigüe, décide de passer outre et pendant une semaine fameuse du mois de juin 1940, va donner à tour de bras, gratuitement, et sans aucune restriction, des visas aux milliers de familles et d'individus se pressant autour de son consulat, avant d'aller faire la même chose à Bayonne et Hendaye, sauvant ainsi un nombre incalculable de vies avant d'être mis sur pied puis rappelé et destitué par le pouvoir salazariste.

C'est cette histoire que raconte Salim Bachi. Le romancier algérien prend le parti de construire son récit sous la forme d'une confession que fait De Souza à sa maîtresse, devenue sa deuxième femme, alors qu'il est à l'article de la mort, pauvre et oublié, dans un hospice franciscain. Il revient rapidement sur les principaux moments de la vie du consul, mais focalise le récit sur les fameuses journées de juin 40 à Bordeaux. Il peint alors avec une grande réussite l'ambiance de désarroi des milliers de familles envahissant la ville devant l'avance allemande, leurs afflux devant le consulat portugais où elles campent, où elles sont reçues, où on leur ouvre les portes et où on les laisse entrer et camper dans les salons et les chambres. Bachi dépeint aussi l'incroyable activité de Souza qui, secondé par sa famille entière et par son secrétaire, se lance dans la formidable opération de désobéissance aux ordres indignes de son gouvernement.

Mais Bachi explore aussi le cheminement psychologique du consul, qui tantôt considère qu'il est mis à l'épreuve après sa trahison conjugale et l'adultère qu'il a commis avec une autre femme que la sienne, lui le chrétien croyant et presque traditionnaliste, et tantôt se compare à Moïse ou au Christ portant les souffrances du monde sur ses épaules et appelé à sauver des âmes en leur ouvrant le paradis et la délivrance de l'enfer nazi.

Face à cela, ce qui est aussi mis en avant dans le roman, c'est moins la brutalité du nazisme, la chose étant entendue, que l'indigne comportement des gouvernements espagnol et portugais et leur attitude flagrante de non-assistance à personnes en danger, par complaisance à l'égard du vainqueur et par une évidente répugnance à s'ouvrir aux persécutés de la terre. Cela est évidemment presque une ritournelle dans l'histoire humaine, sauf que dans le cas de De Souza, la dictature finira par revendiquer, au moment de la défaite des Allemands et pour complaire aux Alliés, le sauvetage de milliers de fugitifs, s'attribuant ainsi la grandeur et l'humanité de l'homme qu'elle fit tout pour écraser. Ce n'est que bien des années après la mort de ce dernier que justice lui sera rendue, au moment où le souvenir de la dictature rejoignait les poubelles de l'histoire.


 
 
© Benjamin Chelly
 
BIBLIOGRAPHIE
Le consul de Salim Bachi, Gallimard, 2015, 192 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166