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Roman
Jusqu’à l’ultime nuit


Par Fifi Abou Dib
2014 - 07
Il faut avoir l’audace et le talent de Hanan el-Cheikh pour s’attaquer à rien moins que ce monument de la littérature orientale (de l’Inde à l’Arabie en passant par la Perse) que sont les Contes des Mille et une nuits, ce recueil fondateur qui est à l’Orient ce que l’Iliade et l’Odyssée, Moby Dick ou Don Quichotte sont à l’Occident. Il est vrai que cette somme de récits fabuleux n’a pas d’auteur précis. Ce ne sont pas les innombrables générations de caravaniers, navigateurs, marchands, hakawatis, cafetiers, courtisans et courtisanes ou habitués des souks qui lui tiendraient rigueur d’avoir écrit sa propre version de ces histoires qui circulent de bouche à oreille depuis des siècles. Cette Libanaise du Sud, mariée à un Anglais, a commencé sa carrière comme journaliste au quotidien An-Nahar et à l’hebdomadaire Al-Hasna’ avant de se mettre au roman, il y a de cela une trentaine d’années. Conteuse née, sa langue poétique, simple et imagée, sa passion de la vérité, son engagement aux côtés des femmes, sa force de briseuse de tabous lui ont valu en 2011 le Prix du Roman arabe (son œuvre est traduite en vingt langues). Mais si l’on y regarde de près, les qualités de Hanan el-Cheikh sont précisément celles de Schéhérazade, ce qui donne une légitimité à cette appropriation qu’elle s’autorise d’une œuvre dont le monde entier connaît la narratrice mais qui ne porte aucune signature. 

Hanan el-Cheikh s’est donc attaquée à la traduction vers l’anglais des textes existants des Mille et une nuits. Ce travail qui lui a pris trois ans, concentré sur une vingtaine de récits, a été initié à la demande du metteur en scène britannique Tim Supple qui souhaitait en faire une adaptation théâtrale. Le texte est donc travaillé dans la plus pure tradition orale, avec force incantations, images fortes, humour et emphases. Il paraît en arabe, en 2012, aux éditions Dar Al-Adab sous le titre « Sahibat al-dar Sheherazade » (Schéhérazade, maîtresse de céans). Une partie de la pièce a été présentée à Beyrouth en mai 2013 au théâtre Al-Madina, dans le cadre du Hay Festival, en collaboration avec la comédienne Nidale Achkar. Cette histoire, ou plutôt ces histoires gigognes emboîtées dans un récit cadre, tout le monde les connaît : Le roi Shahrayar, trahi par sa femme, décide de se venger en épousant chaque nuit une vierge du royaume dont il fait couper la tête au chant du coq. Shéhérazade, la fille du vizir chargé de cette cruelle besogne, décide avec la complicité de sa sœur Doniazade de prendre le risque de se donner au roi dans l’espoir, si son plan réussit, de sauver les jeunes vierges de leur funeste sort et soulager le pays du deuil quotidien qui lui est imposé. Le plan de Schéhérazade consiste évidemment à raconter au roi une histoire qui n’en finit pas, avec une foultitude de personnages pittoresques, d’hommes naïfs, de femmes malicieuses, de djinns, de goules et de monstres, de pêcheurs et de mendiants, de rois, de nobles, de derviches et de marchands qui semblent s’engendrer les uns les autres de sorte qu’au lever du jour, la curiosité du souverain est si aiguisée qu’il accorde grâce sur grâce jusqu’à ce qu’à la fin on devine qu’il renonce à faire décapiter la conteuse.

Stéphanie Dujols vient de livrer une traduction française de cet opus récemment paru aux éditions L’Orient des Livres/Actes Sud. On y retrouve, rendue avec fidélité, la plume légère, coquine et souriante de Hanan el-Cheikh. Il fait bon se souvenir, à l’évocation de ces Contes, en cette période de Ramadan marquée par les violences, que le monde arabe est aussi rêveur et spirituel, amoureux et sensuel, clément, tolérant, généreux et magnanime.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
La Maison de Schéhérazade de Hanan el-Cheikh, traduit de l’arabe par Stéphanie Dujols, Actes Sud/L’Orient des Livres, 2014, 380 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166