Par Katia Ghosn
2014 - 07
Après Beyrouth Pantomime (Orizons, 2008) Toufic el-Khoury signe, chez le même éditeur, son second roman, Léthéapolis (2014). Beyrouth y est à la fois la scène et l’acteur principal. Ne serait-ce que par le titre, ces romans rappellent un univers mythologique parcouru par le tragique. Le pantomime était initialement représenté avec un masque aux lèvres cousues. Quant à Léthé, c’est dans la mythologie grecque le fleuve de l’oubli. Il est l’un des cinq fleuves des Enfers; les morts devaient en boire pour oublier leur vie terrestre. Cependant, dans le monde contemporain, le tragique lui-même s’essouffle : « Pourquoi épuiser nos jours en causes perdues quand la vie est la plus grande des causes perdues », dit un des personnages.Â
Marquée par la guerre, l’angoisse et la mort, Beyrouth est aussi une cause perdue ; l’amnésie dont elle est atteinte est moins l’irruption d’un destin inéluctable qu’un mécanisme de défense et de survie lorsque tout se désintègre et les passions s’étouffent.
L’amour lui-même se vide de ce qui a fait jusqu’à présent sa substance : « c’est un débat oublié, je m’y connais en histoire. C’est un sujet de polémique engendré par le temps, résorbé par le temps ». Le roman illustre cette vacuité. La relation entre Paul et Myriam se noue et se dénoue sans grande émotion, sans pleurs et sans tension. Ils se rencontrent à l’issue de la mort de Nada, la fille adoptive de Miriam avec laquelle il a eu une relation. Décédée suite à un accident de voiture, la présence de Nada les hante et son nom alimente toutes leurs conversations. Que cherchent-ils lors de leurs brèves entrevues ? Elle veut savoir pour faire le deuil. Il connaît l’histoire et promet de la lui raconter, un jour… La différence d’âge – Myriam est une femme mûre, Paul un jeune homme sans grande expérience en matière de sexualité – ne suffit pas pour en faire un roman d’initiation, car nulle catharsis n’est en vue. Leurs rendez-vous s’enchaînent comme une mécanique, sans enthousiasme ni attentes. Paul ne sait pas pourquoi il hésite à mettre fin à leur relation. Est-ce « par crainte de perdre une habitude qui, au fil des semaines, avait été, malgré tout, un réconfort évident » ? C’est le père de Myriam qui intervient pour lui demander de cesser de voir sa fille. Paul obtempère sans se poser de questions. De toute façon, la fin était connue d’avance par les protagonistes et advient sans surprise. Les personnages, lucides et blasés, demeurent étrangers les uns aux autres.Â
Fort de ses études cinématographiques, Toufic el-Khoury enrichit son écriture d’une forte expression gestuelle et réussit à créer des rebondissements le long d’un récit qui n’augure rien…