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Les saintetés singulières d’Eduardo Mendoza


Par Edgar Davidian
2014 - 04
En ce siècle fou où on tue plus que jamais au nom de Dieu, Eduardo Mendoza, écrivain barcelonais, figure de proue de la littérature contemporaine ibérique, s’attaque de front à la notion de sainteté avec un sens irrévérencieux et décapant de la drôlerie. À travers des vies ordinaires, des personnages audacieux, incroyablement triomphants. Des jusqu’au-boutistes sans concession dans le chemin qu’ils ont décidé de prendre. Et qui, sans la foi reconnue par l’Église, ont un différent appel du Créateur… Si les saints sont des personnes obsédées et obnubilées par l’amour de Dieu, s’ils sont en quelque sorte des inadaptés sociaux bons pour la prière et le renoncement à soi et aux autres, les saints ne pourraient-ils pas être aussi des fous et des génies prêts à renoncer à tout pour une idée ? 

C’est sous cette ombrelle, un peu farfelue et tirée par les cheveux, il est vrai, que s’étend la prose au mordant tendre, habitée d’humour et de réflexion de Mendoza. Une prose qui fouille en toute liberté et fantaisie dans la société. Une société qui reste un inépuisable champ d’expérimentation, d’exploration, d’investigation et d’inspiration pour un auteur qui a à son actif une vingtaine d’opus traduits, fêtés, lus, avec plaisir et délectation. Un auteur qui ne se prive pas de restituer le puzzle des tranches de vie à travers des romans parodiques et burlesques. Et c’est ainsi que se déploie le rayonnement de ces saintetés tout aussi singulières que particulières. Avec pour cadre une Barcelone et une Amérique latine débordantes de paradoxes et de contradictions pour des révolutions sociétales en chaîne.

À travers trois nouvelles remarquablement traduites de l’espagnol par François Maspero, sous le titre presque banal de Trois vies de saints, l’auteur nous raconte trois destins aux allures rocambolesques pour des situations et des personnages rendus captivants grâce à un style élégant, une trame bien ourdie et une analyse percutante. Trois personnages différents, à la fois ternes et flamboyants, timorés et baratineurs, effacés et présents, surprenants et émouvants. Histoires tirées du cœur de la vie avec un évident plaisir balzacien de décrire leur environnement, de les mettre en situation et un sens aigu de brosser, en détails minutieux, les portraits. Mais quel point commun entre ces trois récits ? Bien vague serait cette odeur de sainteté et c’est l’auteur lui-même qui souligne que ce serait plutôt « le mode discursif » qui cimente leur diversité, leur densité et leur coloration. De La Baleine au Malentendu en passant par Le fils de Dubslav, Eduardo Mendoza tisse la toile de la vie pour parler d’un évêque obligé à l’exil et qui se révèle au fond un baroudeur impénitent, d’un fils d’une célèbre ophtalmologue qui n’a aimé que la science dont il se fait le porte-parole outrancier et un taulard qui, en s’inscrivant dans un cours d’écriture en prison, finira auteur de best-sellers… Autant de clins d’œil à la (mal)chance, au hasard, à la détermination de ce qui régit un point de départ ou ce qui catapulte, volontairement ou pas, dans un monde (en)fermé dans ses valeurs et ses traditions.

À travers ces bribes de traversée humaine, entre tonalités tragi-comiques savamment dosées, à la fois cocasses et graves, il y a là l’énorme talent d’un conteur né. Un conteur aux phrases ciselées qui sait parfaitement mettre en boîte les conventions et le conformisme pour défendre la liberté d’être et d’agir.


 
 
D.R.
Les saints ne pourraient-ils pas être aussi des fous et des génies prêts à renoncer à tout pour une idée ?
 
BIBLIOGRAPHIE
Trois vies de saints de Eduardo Mendoza, traduit par François Maspero, Seuil, 2014, 206 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166