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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Roman
La chute de la maison Khattar


Par Fifi ABOU DIB
2013 - 08
Dans les livres de Charif Majdalani, il y a toujours une « petite » histoire, une saga familiale ou des individus qui tentent de vivre contre la houle de la « grande » histoire en arrière-plan. Le dernier seigneur de Marsad, son quatrième roman, à paraître aux éditions du Seuil à la fin du mois d’août, raconte dans une langue éblouissante l’histoire d’un notable libanais, Chakib Khattar. À travers ce personnage orgueilleux, sévère et obstiné, l’auteur retrace l’histoire des relations entre les principales communautés confessionnelles du Liban et la manière dont celles-ci se sont implantées dans les divers quartiers de Beyrouth, comment elles ont cohabité dans certaines régions, en l’occurrence la plaine de la Békaa, et surtout, les effets des guerres, notamment de la guerre civile, sur leur redistribution géographique actuelle. Majdalani, descendant lui-même d’une ancienne famille du quartier de Mazraa, au départ grec-orthodoxe avant de tomber sous la domination sunnite avec le départ des derniers chrétiens, raconte à travers son personnage principal la désintégration progressive de ce tissu social multiconfessionnel qui tenait, malgré les inévitables querelles, par un certain nombre de conventions, d’accords tacites et de réconciliations bon enfant.

Mazraa et Mousseitbé, quartiers parmi d’autres où la guerre a instillé le poison de la séparation, ont été transformés pour les besoins de la fiction en « Marsad » situé « comme chacun sait », souligne l’auteur non sans humour, « au sud de la vieille ville de Beyrouth ». L’histoire de Chakib Khattar, comme souvent sous la plume de Majdalani, est aussi une histoire de maisons, une demeure à Beyrouth couplée d’un domaine agricole dans la Békaa. Si ces biens ont été acquis à la faveur d’une spéculation sur le blé plutôt mesquine pendant la grande famine et d’un sens aigu des affaires chez le premier aïeul, la noblesse des Khattar leur est venue d’une alliance opportune en guise de règlement de dettes avec les Sabbagh, famille de notables d’Achrafieh. Majdalani rappelle ainsi que de nombreuses rancunes et rivalités familiales découlent de richesses acquises dans des circonstances plutôt troubles, se poursuivant de génération en génération même quand on en a oublié l’origine.

Cependant, dans la première période de la guerre civile qui va du milieu des années 70 au début des années 80, les chrétiens des quartiers mixtes retrouvent leur solidarité et gardent des relations cordiales avec leurs voisins musulmans. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une guerre de religions mais d’une guerre de milieux sinon de classes sociales. Tant qu’on est du même monde, chrétien ou musulman, on cultive entre soi ces gestes nobles et ces attentions, ces réflexes de protection qui sont les signes de l’amitié. En revanche, tout s’écroule quand arrivent à Marsad des groupes désorganisés, chassés de l’est de la ville par les milices chrétiennes et déterminés à occuper des propriétés désertées par leurs occupants, voire encore habitées mais plus pour longtemps.

Dans ce cas, et en l’absence de tout recours, comment envisager l’avenir et l’après-soi, quand on a vécu 70 ans dans l’idée que le travail de toute une vie, les biens acquis depuis des générations, doivent se transmettre et se perpétuer à travers les enfants. Les quatre enfants de Khattar, deux garçons et deux filles, ne semblent pas à la hauteur d’un tel héritage. En particulier l’attachant Élias, étudiant à l’École des Lettres qui, enfant, aimait comme l’auteur Napoléon et Le Journal de Tintin. Il reste un cinquième élément et principal protagoniste de ce roman, Hamid Chahine, fils du régisseur des terres de la Békaa et de sa fougueuse épouse Lamia…

On n’en dira pas plus. Comme toujours chez Majdalani, ce roman vous berce de saveurs, d’odeurs, de lumières spectaculaires, de paysages somptueux et de nuits étoilées. Il traverse le XXe siècle et se termine parmi les abricotiers où, dans des braises à bout de souffle, des marrons et des pommes de terre achèvent de griller.


 
 
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BIBLIOGRAPHIE
Le dernier seigneur de Marsad de Charif Majdalani, Seuil, août 2013, 249 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166