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Roman
La vérité sur l’Amérique


Par Fifi ABOU DIB
2012 - 12
Grand Prix du roman de l’Académie française, Goncourt des lycéens, prix de la Vocation de la Fondation Bleustein-Blanchet, La vérité sur l’affaire Harry Quebert est la deuxième œuvre d’un jeune auteur suisse de 27 ans en lequel Vladimir Dimitrijevic, légendaire patron des éditions L’Âge d’homme, a cru dès son premier roman. Selon sa biographie officielle, Joël Dicker a effectué toute sa scolarité à Genève, s’est ensuite offert une parenthèse au cours Florent à Paris avant d’étudier le droit à l’université de Genève d’où il sort diplômé en 2010. Dans sa relation avec son éditeur – mort dans un accident de voiture – et le monde de l’édition en général, sa connaissance de la scène et du droit, ses premiers pas de nouvelliste et son expérience d’écolier dans la rédaction d’une revue sur la protection de la nature déjà primée par La Tribune de Genève, on trouve volontiers les ingrédients de La vérité sur l’affaire Harry Quebert, un roman in fine littéralement écrit à l’âge d’homme. 

Joël Dicker connaît bien l’Amérique pour y avoir passé toutes ses vacances d’été. Au départ, il sait deux choses : la première, c’est qu’il veut que son prochain roman se passe aux États-Unis. La deuxième, c’est que pour écrire sur l’Amérique, il faut écrire comme les Américains. Il aime ce défi et pressent que « ce sera un exercice de style amusant ». Vladimir Dimitrijevic lui a donné un conseil : « Surtout, soyez ambitieux ! » Il l’a orienté vers Faulkner, vers Thomas Wolfe surtout. Mais Dicker, en homme de son temps et de sa génération, ne jure que par Philip Roth. Depuis son premier opus, Les derniers jours de nos pères, il s’attèle à maîtriser les règles du jeu de l’édition, les ficelles de l’étrange business du livre, les écueils à éviter et les tuyaux à saisir. « Soyez ambitieux ! » Une consigne qui accompagnera, toujours selon la biographie officielle de l’auteur, « l’envie d’écrire une véritable histoire, d’emporter le lecteur, de l’arracher à son quotidien, de rendre au livre une grande qualité qui lui manque parfois : un moment de plaisir ». En écrivant La vérité sur l’affaire Harry Quebert, Joël Dicker a déjà en tête de produire un livre à la fois prenant et long pour faire durer le plaisir. Il négociera avec son éditeur le prix de vente de ce pavé de 670 pages qui ne devrait pas décourager le lecteur potentiel. 

À l’arrivée, ce sera un polar construit sur le principe d’une série télévisée selon un plan en apparence aléatoire (les chapitres sont d’ailleurs numérotés à l’envers). Il met en scène Marcus Goldman, un jeune auteur à succès – mais en panne – qui pourrait être un avatar de Dicker ; Harry Quebert, le mentor de ce dernier, brillant universitaire dont le succès, en tant qu’écrivain, est basé sur une imposture, et toute la petite ville d’Aurora, une commune fictive située en Nouvelle-Angleterre. Dans les rôles principaux, on trouve surtout une jeune fille de 15 ans, Nola, véritable muse universelle dont la perversion n’a d’égale que la pureté – « La beauté n’est rien que le premier degré du terrible », disait Rilke – et qui va bouleverser autant de vies qu’elle va provoquer de drames. On trouve également un corps de police véreux, un système judiciaire approximatif, un éditeur sans scrupules et… une mère juive qui concentre à force de clichés tout le capital d’autodérision de l’auteur. Dicker agit comme un cinéaste. Il plante un décor réel, proche des atmosphères d’Edward Hopper, situe l’action dans une époque réelle – l’Amérique d’Obama qui aspire à une sorte de rédemption – et invite ses personnages « comme on ouvre une colonie de vacances ». Pari gagné : le lecteur s’attache et ne s’arrache qu’avec peine à ce pavé qui l’entraîne de tout son poids vers les profondeurs glauques de la nature humaine. Quant à l’auteur, il confie pour sa part que « le plus difficile dans un roman, ce n’est pas tant d’écrire. C’est de dire adieu à ses personnages ». La vérité sur l’affaire Harry Quebert est aussi une leçon d’écriture.


 
 
D.R.
« Le plus difficile dans un roman, c’est de dire adieu à ses personnages »
 
BIBLIOGRAPHIE
La vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker, De Fallois/L’Âge d’homme, 2012, 670 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166